Le 25 octobre 2017, le projet de loi C-203, dont l’objectif était de rendre obligatoire que les candidats aux postes de juges à la Cour suprême comprennent les deux langues officielles sans l’aide d’un interprète, a été défait à la Chambre des communes : 224 députés ont voté contre et 65 ont donné leur appui.

La majorité des députés libéraux ont voté contre ce projet de loi, malgré le fait que leur parti ait traditionnellement soutenu la cause du bilinguisme au Canada. Durant la dernière campagne électorale, en 2015, le Parti libéral du Canada (PLC) s’était engagé à ne nommer à la Cour suprême que des juristes bilingues. Le gouvernement de Justin Trudeau avait jusque-là respecté cet engagement en faisant du bilinguisme fonctionnel un critère de sélection. Cela dit, ce critère n’a pas force de loi, et le gouvernement fédéral n’a donc aucune obligation de prendre en considération les capacités linguistiques des candidats.

Il semble que, malgré leur appui au principe du bilinguisme, bien des députés, dont un bon nombre de francophones, ne soient pas à l’aise avec l’idée d’inscrire l’égalité linguistique dans une loi pour faire du bilinguisme une exigence formelle dans la nomination des juges de la Cour suprême.

Cette défaite législative du bilinguisme a été froidement accueillie par ceux qui luttent pour le principe de l’égalité linguistique. Par exemple, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada a exprimé sa déception. Elle estimait que ce projet de loi avait pour objectif « l’égalité réelle des deux langues officielles au Canada ». Un collectif d’universitaires a aussi exprimé sa frustration et posé la question suivante : « Que se passe-t-il au sein du PLC pour qu’on rejette un projet de loi si important pour la progression de l’égalité du français et de l’anglais au pays ? »

La réponse à cette question, ainsi que l’explication de la frayeur de la classe politique au sujet d’une promotion plus intensive du bilinguisme, pourrait bien se trouver du côté des non-francophones.

Si la polémique à propos du bilinguisme met en avant « la promotion du français et de l’anglais » et « l’égalité des deux langues officielles », en réalité, ce débat cherche essentiellement à protéger et à promouvoir la place du français au Canada. Généralement, ce sont les francophones qui bénéficient du bilinguisme institutionnel, surtout à l’extérieur du Québec.

On peut alors comprendre que les non-francophones soient réticents à souhaiter promouvoir davantage le bilinguisme. C’est d’ailleurs ce que démontrent les données d’un sondage réalisé pour l’Étude électorale canadienne de 2015. La figure ci-dessous présente, selon la langue maternelle des répondants, la distribution des réponses à une question sur le degré d’accord avec l’énoncé « On est allé trop loin dans la promotion du bilinguisme au Canada ». Sans surprise, la très forte majorité des francophones sont en désaccord avec l’idée que le bilinguisme au Canada a été promu de façon démesurée (50 % en désaccord et 34 % fortement en désaccord). Mais 46 % des anglophones sont d’accord avec l’énoncé qu’on a poussé trop loin le bilinguisme au Canada (17 % fortement d’accord et 29 % d’accord). Les réponses des allophones et des anglophones sont comparables : 42 % des allophones pensent qu’on a trop promu le bilinguisme, bien que de façon moins intense que les anglophones (9 % fortement d’accord et 33 % d’accord).

Chez les non-francophones, il semble y avoir une forte réticence à vouloir accroître le bilinguisme au Canada. On peut mieux comprendre, dans ces conditions, pourquoi les politiciens ne veulent pas trop le promouvoir.

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Plus de bilinguisme voudrait dire, à l’extérieur du Québec, essentiellement plus de français. La perception, réelle ou fausse, serait que les francophones bénéficieraient (de nouveau) d’un avantage et que, du même coup, les non-francophones seraient désavantagés par un renforcement du bilinguisme. Les droits des minorités soulèvent généralement le même dilemme. En ce qui concerne plus précisément le bilinguisme des juges au Canada, l’un des arguments classiques des détracteurs du bilinguisme « forcé » est qu’un tel critère de sélection éliminerait un grand nombre de candidats de qualité qui ont la malchance de ne pas maîtriser le français.

Par conséquent, ceux qui luttent pour promouvoir le bilinguisme au Canada, pour accroître la place du français au pays, doivent convaincre les non-francophones de la nécessité d’affermir le bilinguisme. Ils doivent « prendre leur bâton de pèlerin » et persuader les non-francophones du réel besoin de continuer à renforcer le bilinguisme. Ils devraient s’inspirer des récentes démarches du gouvernement québécois, dont des membres influents parcourent le reste du Canada pour rencontrer des représentants des médias, des politiciens et des universitaires dans le but de leur expliquer l’insatisfaction constitutionnelle québécoise ainsi que la nécessité d’apporter des changements à la Constitution pour que le Québec puisse enfin y adhérer. Cette stratégie est similaire à celle récemment employée par l’exécutif corse, formé de nationalistes et d’indépendantistes, pour expliquer les revendications de la Corse au reste de la France, surtout en ce qui concerne la nécessité d’implanter la co-officialité de la langue corse afin de la protéger.

Mais comme dans le cas des démarches québécoises et corses, les bénéfices d’une stratégie de communication avec autrui pourraient ne survenir qu’à moyen sinon à long terme, et encore le succès n’est pas garanti.

Sans compter les efforts et la patience requis, pour réellement espérer promouvoir le français au Canada, il faut communiquer avec les non-francophones. Il faut expliquer, surtout en anglais, pourquoi le bilinguisme doit continuer d’être promu au Canada. Il faut faire valoir de façon diplomatique la nécessité de défendre et de promouvoir le français. Il faut comprendre et apaiser les craintes de certains, souvent légitimes et rationnelles, au sujet d’une institutionnalisation accrue du français. On doit combattre les préjugés et les fausses informations au sujet des « risques » liés à un accroissement du bilinguisme.

Il faut adopter une stratégie de communication plus interactive. Car simplement se plaindre, surtout en français, d’une situation linguistiquement insatisfaisante ne permettra fort probablement pas d’atteindre les objectifs escomptés.

Photo : Shutterstock / Arthimedes


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Mike Medeiros
Mike Medeiros is a research fellow at the Politics of Race and Ethnicity Lab at the University of Texas at Austin. His research focuses on sociopolitical issues related to ethnicity, gender, elections and nationalism. Find him on Twitter: @MikeMikeMed

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