C’était entendu d’avance. Il n’y avait pas de grandes attentes à l’égard de la 23e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP23) qui s’est tenue à Bonn du 6 au 17 novembre dernier. De l’avis presque unanime, la COP23 ne passera pas à l’histoire pour le nombre et l’audace des décisions qui y furent adoptées. Rien de significatif en tout cas, seulement le ronronnement habituel des délégués et technocrates qui s’affairent à préparer le terrain pour la COP24 en faisant avancer leurs dossiers à très petits pas.

Des dossiers complexes, il est vrai : définition des caractéristiques majeures des engagements volontaires de réduction des gaz à effet de serre (GES) par les États, appelés bêtement des contributions déterminées au niveau national (CDN) ; élaboration des règles de la comptabilisation des CDN ; transparence dans la publication des données nationales ; contrôle international des CDN ; relèvement des efforts nationaux de réduction des GES d’ici à 2020, puis de 2020 et après ; financement à octroyer aux pays en développement par les pays riches pour l’atténuation des GES et l’adaptation ; modalités d’application du principe des responsabilités communes mais différenciées ; sécurité alimentaire ; rôle des peuples autochtones, etc.

On a dit de la COP23 qu’elle n’était qu’une réunion de transition, qu’une session de préparation avant la grande conférence de 2018 (COP24) qui aura lieu à Katowice, une ville charbonnière du sud de la Pologne. On a aussi répété qu’il s’agissait d’une réunion technique sans intérêt politique particulier, car elle devait surtout se pencher sur l’élaboration des règles d’application de l’Accord de Paris. En réalité, depuis l’annonce du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, en juin 2017, la COP climatique se cherche désespérément un leadership, que personne ne semble vouloir accepter : ni l’Union européenne, divisée sur la question du charbon, ni la Chine encharbonnée, première ou deuxième économie au monde et premier pollueur en émissions de CO2 de la planète, qui se limite pour le moment à jouer le rôle d’intermédiaire entre groupes différents.

Depuis l’annonce du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, la COP climatique se cherche désespérément un leadership, que personne ne semble vouloir accepter.

L’année 2018 se présente comme une année importante sous plusieurs aspects. C’est d’abord au cours de cette année que le Groupe de travail spécial de l’Accord de Paris, qui a le mandat d’élaborer un règlement d’application de l’Accord, doit finaliser son rapport. C’est aussi en 2018 que doit se tenir le dialogue de facilitation entre les États pour faire le point sur les efforts collectifs déployés et éclairer l’établissement des CDN, après une décision prise en 2015. La COP23 y a donné suite en instituant ce qu’il convient désormais d’appeler le dialogue Talanoa (du nom d’une forme d’échanges participatifs coutumiers  du Pacifique, en l’honneur du président de la COP23, le premier ministre fidjien Frank Bainimarama), qui doit commencer dès le 1er janvier prochain. Ce dialogue, qu’on présente étonnamment comme l’un des grands succès de cette COP23, vise à encourager les États à en faire un peu plus pour réduire leurs GES et, surtout, à faire le point sur l’état du dossier climatique en posant trois grandes questions : où en sommes-nous ? où voulons-nous aller ? comment y parvenir ? C’est finalement pour 2018 qu’on a demandé au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de présenter un « rapport spécial […] sur les conséquences d’un réchauffement planétaire supérieur à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les profils connexes d’évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre ». On peut d’ores et déjà prédire que le diagnostic sera brutal, notamment pour les délégués à la COP24.

Si l’Accord de Paris a fixé un objectif à atteindre — « contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C » —, il demeure généralement assez silencieux sur les moyens à mettre en œuvre pour réaliser la transition vers une société à faibles émissions de carbone. Dans le cadre de l’Accord — et les médias en général ne le soulignent pas assez souvent, sinon jamais —, les traîne-savates que sont les États dans ce dossier se sont réservé la plus grande marge de manœuvre possible en ce qui a trait à l’intensité de leurs efforts pour réduire leurs GES : leurs engagements individuels à ce chapitre ne sont que des vulgaires promesses politiques, sans obligation juridique de résultat. C’est le prix qui fut payé par la majorité des États de la planète pour qu’il y ait un accord à Paris en décembre 2015. Un prix payé aux Américains et aux Chinois, qui représentent, à eux seuls, plus de 40 % de la pollution mondiale par le CO2.

L’Accord de Paris — il est important de le souligner — indique seulement que les pays recherchent « un plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais », puis à « opérer des réductions rapidement par la suite », sans plus de précisions. Or, si nous tenons compte du fait que le GIEC estime déjà qu’il faut réduire les émissions de GES de 40 à 70 % d’ici 2050 pour rester en dessous d’un réchauffement de 2 °C, les États devront nécessairement revoir à la hausse leurs promesses de réduction des GES s’ils sont sérieux dans leur démarche. Sait-on vraiment que les engagements actuels des États couvrent à peine un tiers des réductions d’émissions nécessaires pour demeurer en deçà d’une élévation de la température de 2 °C ? On a parlé à ce propos d’un « écart catastrophique » entre les engagements actuels, qui ne sont pas contraignants, et l’objectif poursuivi de rester en dessous de 2 °C. Sait-on vraiment que pour demeurer en dessous de 2 °C, les États devraient émettre au maximum 40 à 42 gigatonnes (Gt) équivalent CO2 en 2030, alors qu’ils en ont émis 52 Gt en 2016 et que, si la tendance se maintient, on émettra encore 53 à 55 Gt en 2030 ? Les pays du G20, dont le Canada fait partie et qui produisent les trois quarts des émissions mondiales de GES, ne doivent-ils pas montrer la voie aux autres « en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus à l’échelle de l’économie », comme le demande l’Accord de Paris ?

Le sentiment d’urgence climatique, largement partagé à Paris en décembre 2015, semble disparu, et la COP23 fut impuissante à le réanimer.

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On ne saurait passer sous silence l’initiative du Canada et du Royaume-Uni visant à mettre fin à l’emploi du charbon dans les centrales électriques, lequel demeure encore la première source d’électricité dans le monde. Véritable pied-de-nez à l’administration Trump, qui a fait de la renaissance de l’industrie américaine du charbon son cheval de bataille, cette initiative, louable en soi, n’empêchera pas les exportations canadiennes de charbon vers les États-Unis. Elle ne saurait, non plus, nous faire oublier l’incohérence totale de la politique fédérale canadienne, qui légitime d’une part l’exploitation croissante des sables bitumineux et la construction de nouveaux pipelines, et promet d’autre part un engagement entier en faveur de la décarbonisation de l’économie et du redoublement des efforts mondiaux dans la lutte contre les changements climatiques.

Selon l’Agence internationale de l’énergie, pour nous assurer de ne pas dépasser un réchauffement planétaire de 2 °C en 2100, avec un taux de probabilité de 66 %, nous avons besoin d’une « transition énergétique d’une ampleur exceptionnelle, vaste et rapide ». Il faut que les émissions de CO2 aient atteint leur sommet en 2020 et qu’elles chutent de 70 % en 2050 par rapport au niveau d’aujourd’hui. Le Canada a déjà renoncé à son objectif pour 2020 (-17 % par rapport à 2005, soit une diminution à terme de 127 mégatonnes de CO2) et continue de subventionner les énergies fossiles, leur accordant un soutien de plus de 3 milliards de dollars en 2015, selon certaines estimations. Un rapport du Sénat canadien, publié en mars 2017, confirme ce que tout le monde sait : les objectifs de réduction des émissions de GES pris par le Canada dans le cadre de l’Accord de Paris ne sont pas réalisables sans un coup d’arrêt à la production de pétrole, et sans un virage colossal dans les modes de production et les habitudes de consommation de l’énergie au Canada. Mais il est vrai que la taxe carbone, applicable dès le 1er janvier 2018, vient atténuer quelque peu la portée de ce pronostic.

Au-delà des beaux discours, il y a la réalité, et elle n’est pas très belle à voir. Qu’on le croie ou non, le site Internet du gouvernement du Canada, consulté le 26 novembre 2017, nous apprend que l’objectif premier du gouvernement canadien pour cette COP23 était de « créer des occasions pour les entreprises canadiennes » ! Les affaires avant ou en même temps que l’environnement mondial, les intérêts commerciaux du pays avant ou en même temps que les intérêts supérieurs de l’humanité. Il est vrai que l’Accord de Paris ouvre la voie à plusieurs mille milliards de dollars « en nouvelles possibilités d’investissement dans la croissance propre » et que les pays émergents présentent des occasions d’affaires intéressantes. On ne saurait donc passer à côté de si bonnes opportunités, n’est-ce pas ?

Heureusement, partout à travers le monde, des citoyens, des ONG, des municipalités, des villes, des régions, des provinces, des entreprises et certains segments du monde financier, présents à Bonn, ont pour objectif de passer à une économie à faibles émissions de carbone et essayent de contrer autant la force d’inertie des États que leur pouvoir de nuisance.

Photo : À la table des négociations de la Conférence des parties sur les changements climatiques COP23, à Bonn (Allemagne), le 15 novembre 2017. EPA / Philipp Guelland


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Jean-Maurice Arbour
Jean-Maurice Arbour est professeur associé à la Faculté de droit de l’Université Laval. Il est coauteur, avec S. Lavallée, H. Trudeau et J. Sohnle de l’ouvrage Droit international de l'environnement (2016).

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