Élue première ministre du Québec le 4 septembre dernier, Pauline Marois a décidé de doter son gouvernement minoritaire d’un « ministre délégué aux affaires intergouvernementales canadiennes et à la gouvernance souverainiste ». Évidemment, ce n’est pas la présence au cabinet d’un ministre responsable des relations courantes avec le gouvernement fédéral et les autres provinces qui bouleversera l’ordre naturel des choses au Canada. C’est plutôt l’orientation « souverainiste » que ce ministre devra donner à l’ensemble de son mandat qui soulève des questions.

Pour le profane, cette « gouvernance souverainiste » nouvellement promue par le Parti québécois reste bien mystérieuse. Elle n’a pourtant rien de compliqué. Le but final, l’indépendance du Québec, reste le même. Ce ne sont que la stratégie et les tactiques pour y arriver qui ont changé. Dans ce cas, il s’agit de chercher à rapatrier un à un l’ensemble des responsabilités et pouvoirs actuellement assumés par le gouvernement fédéral au Québec. Si ce dernier accepte, l’union politique avec le Canada ne pourra que s’étioler au fil du temps et ne représentera à terme plus qu’une coquille vide. On doit à l’ex-chef libéral Michael Ignatieff d’avoir clairement énoncé dans une entrevue accordée à la BBC quelle serait la conséquence logique d’une telle dévolution de pouvoirs. Lorsque deux États ne partagent plus rien, leur séparation n’est plus qu’une simple question de formalité.

Appelons cela le plan A de la gouvernance souverainiste du Parti québécois.

Bien entendu, le gouvernement fédéral peut toujours éviter de donner suite aux demandes incessantes visant son effacement progressif du sol québécois. C’est là qu’intervient le plan B de la gouvernance souverainiste. Dans la perspective purement nationaliste qui est celle des péquistes, toute dévolution de pouvoirs au profit de l’État québécois se fait par définition dans le meilleur intérêt des Québécois. Il s’agira donc d’utiliser chaque refus du gouvernement fédéral de négocier cette dévolution pour dépeindre l’union fédérale canadienne comme étant opposée à l’avancement du bien-être des Québécois. C’est de cette manière que les péquistes entendent relancer le débat sur la soi-disant séparation nécessaire des deux États.

Pour contrer un tel discours, il ne suffira pas d’opposer une fin de non-recevoir à la litanie de demandes qui accompagnera la mise en œuvre de la stratégie de la gouvernance souverainiste. Il faudra aussi lui opposer un discours rationnel du fédéralisme, pédagogie qui devra être l’œuvre de toutes les parties intéressées, au premier rang desquelles figurent, bien entendu, les partis politiques fédéralistes représentés à l’Assemblée nationale du Québec. L’expérience récente de l’Europe devrait être l’une de leurs principales sources d’inspiration.

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Aucun économiste ne niera que l’union monétaire européenne souffre à l’heure actuelle d’un vice de construction institutionnel. À la base, des pays souverains ont choisi de partager la même monnaie sans partager ni le budget, ni la dette, ni même l’encadrement et la restructuration, en cas de besoin, des institutions financières et bancaires. Si tous les États participants avaient été très similaires et avaient réagi de la même manière aux mêmes chocs, ce vice de construction n’aurait guère eu de conséquences.

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La réalité est cependant bien différente. Lorsque le marché immobilier de l’un s’effondre alors que celui de l’autre tient le coup, lorsque le chômage augmente chez l’un mais pas chez l’autre, chaque État doit seul en assumer les conséquences. Il en résulte une asymétrie complète des situations budgétaires, une dissociation des dettes souveraines et une augmentation des primes de risque sur les marchés obligataires. Devant le spectre de la désintégration possible de son union économique et monétaire, l’Europe cherche donc actuellement, a posteriori, le chemin d’un fédéralisme qui ne dit pas encore ouvertement son nom. Elle cherche notamment la manière de mettre les dettes souveraines en commun et avance peu à peu vers l’union bancaire.

La plus grande résilience de l’union économique et monétaire canadienne face aux chocs asymétriques tient en grande partie au fait qu’elle possède déjà ces attributs fédéraux que recherche maintenant péniblement l’Europe. D’abord, en déléguant à une autorité fédérale d’importants pouvoirs de dépense et de taxation, les provinces canadiennes ont dans les faits mis sur pied un système de transferts financiers capable de mitiger les écarts conjoncturels toujours susceptibles de se manifester entre elles. Ensuite, lorsque l’exercice de ces pouvoirs fédéraux s’accompagne d’un déficit budgétaire, la dette qui en résulte est automatiquement partagée entre toutes les provinces. Voilà exactement le genre de transferts automatiques et de mutualisation des dettes dont rêveraient aujourd’hui des pays comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal ou l’Irlande.

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Il est ironique de constater que l’une des premières sphères de responsabilité fédérale que le Parti québécois a proposé de rapatrier dans le cadre de la gouvernance souverainiste est celle de l’assurance-emploi. Pourtant, s’il existe un mécanisme de transferts susceptible de corriger les chocs asymétriques entre les provinces et de mutualiser les dettes, c’est bien celui-là. En outre, le Québec a toujours été l’un des principaux bénéficiaires de ces transferts et de cette répartition. Par exemple, au cours des dernières années, il a retiré de la caisse de l’assurance-emploi des centaines de millions de dollars de plus en prestations qu’il n’y a versé en cotisations. De plus, la caisse ayant été globalement déficitaire depuis la dernière récession, le Québec n’a eu à assumer implicitement qu’une fraction du coût de la dette fédérale résultant de l’assurance-emploi, alors qu’il aurait dû assumer explicitement la totalité de la dette générée sur son propre territoire. En somme, la gouvernance souverainiste appliquée à la caisse de l’assurance-emploi serait allée directement à l’encontre des intérêts des Québécois, augmentant leur vulnérabilité économique, sociale et fiscale en période de crise.

Les exemples de cette nature pourraient être multipliés pour démontrer à quel point la théorie de la gouvernance souverainiste ne repose sur aucune analyse rationnelle des intérêts économiques réels des citoyens concernés. En particulier, elle ne définit les intérêts des Québécois qu’à un niveau purement symbolique et ne peut s’appuyer pour ce faire que sur l’émotion nationaliste. La meilleure manière de s’y opposer réside donc dans la construction d’une pédagogie fondée sur la pensée économique rationnelle et s’adressant directement aux intérêts réels des citoyens. À cet égard, l’expérience récente de l’Europe est riche d’enseignements pour tous les fédéralistes.

Photo: Shutterstock /Aleks_Shutter

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Martin Coiteux est professeur au service de l'enseignement des affaires internationales à HEC Montréal.

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