Le budget présenté par Jim Flaherty à la mi-février prévoit un léger déficit de 2,9 milliards de dollars en 2014-2015 et un surplus de 6,4 milliards en 2015-2016, à temps pour aller en élections avec un bilan positif et une bonne marge de manœuvre.

Ce bilan avantageux, disait M. Flaherty dans son discours, s’explique surtout par un contrôle serré des dépenses de programmes du gouvernement fédéral. Ce n’est pas faux. Alors que les transferts aux particuliers et aux provinces devraient augmenter de 8 p. 100 entre 2013 et 2015, les dépenses de programmes diminueront d’environ 4 p. 100.

Mais ce n’est pas toute l’histoire. Pour obtenir un surplus, le gouvernement Harper renoue aussi avec une pratique dont ont beaucoup abusé les libéraux du temps de Jean Chrétien et de Paul Martin. Le gouvernement utilise l’assurance-emploi pour gonfler discrètement ses revenus, au détriment des travailleurs et des chômeurs.

Prenons les chiffres du plan budgétaire. En 2013-2014, les cotisations des travailleurs et des employeurs à l’assurance-emploi excéderont nettement les prestations données aux chômeurs, pour un surplus annuel de 3,1 milliards. Cette situation se répétera les années suivantes, et l’excédent atteindra 3,9 milliards en 2015-2016. À elle seule, l’assurance-emploi comptera alors pour plus de la moitié (61 p. 100) du surplus budgétaire fédéral.

Pour un gouvernement qui dit promouvoir l’emploi et se réclame des Canadiens « qui travaillent sans relâche et cherchent à joindre les deux bouts », il s’agit d’une approche contradictoire, qui impose une taxe plus élevée que nécessaire sur l’emploi, sans pour autant offrir une bonne protection du revenu et des services adéquats aux travailleurs.

Dans son rapport présenté en novembre, la Commission nationale d’examen sur l’assurance-emploi, présidée par Rita Dionne-Marsolais et Gilles Duceppe, constatait qu’en 2013 à peine plus de 40 p. 100 des chômeurs canadiens pouvaient toucher des prestations d’assurance-emploi, comparativement à un ratio supérieur à 80 p. 100 à la fin des années 1980. La Commission notait aussi le manque de personnel, les délais de traitement et les contrôles excessifs dans la gestion de « l’un des systèmes les plus compliqués, sinon le plus compliqué au monde ».

Mais le surplus du programme d’assurance-emploi ne vient pas tant du faible taux de couverture du programme ou des coupes bien réelles dans les services que des revenus  —  les contributions des travailleurs et des employeurs  —, qui sont artificiellement maintenus au-dessus de ce qui est requis. Pour le comprendre, il faut revenir un peu en arrière.

En 2015, l’assurance-emploi comptera pour plus de la moitié du surplus fédéral.

De 1994 à 2008, le Régime d’assurance-emploi a engendré des surplus qui ont grandement contribué à éliminer le déficit fédéral. Chaque année, en effet, ces surplus étaient comptabilisés au Compte d’assurance-emploi, mais celui-ci demeurait purement notionnel. Dans les faits, les revenus de l’assurance-emploi s’additionnaient simplement aux autres revenus du gouvernement fédéral.

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Pour mettre fin à cette pratique, la loi d’exécution du budget de 2010 a effacé l’ardoise  —  un surplus accumulé de 57 milliards de dollars  —  et remis le compte à zéro, statuant que, dorénavant, les taux de cotisation seraient établis de façon rigoureuse, afin d’obtenir chaque année un certain équilibre entre les revenus et les dépenses.

À ce moment-là, il n’y avait plus aucun surplus accumulé. Et la récession plombait les revenus, alors même que les dépenses étaient à la hausse. Les taux de cotisation ont donc augmenté année après année. Ils devaient monter encore en 2014, mais, en septembre 2013, le gouvernement a annoncé qu’il gelait le taux pour ne pas nuire à la reprise.

En principe, c’était une bonne nouvelle. Mais ce gel survenait au moment même où le compte de -l’assurance-emploi approchait de l’équilibre. Selon les estimations du directeur parlementaire du budget, publiées en décembre, cette décision prévenait surtout une baisse importante des cotisations dans les deux années à venir. En maintenant le taux de cotisation de base à 1,88 dollar par tranche de 100 dollars de gains assurables, le gouvernement fédéral renonçait bel et bien à des revenus de 0,5 milliard pour 2014, mais il s’assurait surtout des revenus additionnels de 1,0 milliard en 2015-2016 et de 3,1 milliards en 2016-2017.

Discrètement, le gouvernement Harper a ainsi pavé la voie à d’importants surplus pour 2015, réinventant un instrument qui a déjà fait ses preuves à Ottawa. À défaut de bien protéger les chômeurs, l’assurance-emploi est redevenue une assurance-surplus pour le gouvernement fédéral.

En principe, la règle de l’équilibre devrait revenir à partir de 2017. Mais d’ici là, le travail aura été fait, un surplus budgétaire pour 2015 étant assuré.

En même temps, les conservateurs ont préparé une position plus ferme et plus explicite sur la formation de la main-d’œuvre, et ont annoncé, lors du dépôt du budget, que faute d’accord avec les provinces, ils procéderaient de façon unilatérale. Ils se montrent ainsi déterminés à imposer un programme mal conçu et peu susceptible d’être efficace.

Bien au-delà de l’assurance-emploi et de la formation de la main-d’œuvre, c’est donc un nouveau rapport de force qui se dessine progressivement entre un gouvernement fédéral doté de visées ambitieuses et de surplus importants, et des provinces dispersées et en situation budgétaire difficile. Il y a quelques années, on appelait cela un déséquilibre fiscal.

Alain Noël
Alain Noël is a professor of political science at the Université de Montréal. He is the author of Utopies provisoires: essais de politiques sociales (Québec Amérique, 2019).

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