Depuis le retour à l’équilibre budgétaire, le gouvernement du Québec a fait de l’innovation sa stratégie prioritaire de croissance économique et de développement social. Ce mot est de tous les discours. Toutefois, bien qu’essentielle, l’innovation demeure mal comprise, soutenue et implantée dans le système de santé public. Cela explique certainement le faible rendement de l’investissement en recherche et développement (R-D) obtenu jusqu’à présent en santé. Si l’on ne comprend pas bien les obstacles à l’innovation ni ses facteurs de succès, les choses risquent fort peu de changer. Pour offrir de meilleurs services et éviter d’affaiblir la capacité de financer le système de santé, des politiques favorisant l’innovation doivent être rapidement adoptées.

La recherche au Canada se heurte à deux grands paradoxes. Le premier est que l’excellente performance de la recherche ne se traduit pas par davantage d’innovation dans les organisations. Selon le Global Innovation Index 2016, le Canada se classe au 9e rang sur le plan de la recherche à l’échelle mondiale ; il produit 3,2 % des publications, mais il est au 57e rang pour ce qui est de l’efficience de l’innovation. Autrement dit, les investissements en R-D génèrent un faible rendement, car ils n’entraînent pas nécessairement l’adoption des produits et services qui en découlent. Étant donné la part de la richesse collective consacrée à la recherche en santé, et les difficultés à améliorer l’efficience des soins et services offerts à la population, ce paradoxe est particulièrement aigu dans les soins et services de santé au Québec.

Le second paradoxe est que la population exerce peu de pressions sur le gouvernement pour obtenir un meilleur accès aux nouvelles technologies et à des services de santé efficaces, malgré la stagnation de l’efficience du système et un faible niveau de satisfaction. En effet, rappelons que, selon les résultats publiés par le Commissaire à la santé et au bien-être, seuls 22 % des Québécois pensent que leur système de santé fonctionne assez bien, rejoignant là l’opinion des médecins (24 %). Or, dans le contexte du vieillissement de la population, cette situation est insoutenable. La proportion de la population en âge de travailler et donc de soutenir le financement des dépenses publiques, notamment en santé, diminue. Les finances publiques devront accroître le rendement de leurs investissements, dont ceux en recherche et en innovation, afin de maintenir les services publics.

Pour qu’une idée ou une découverte génère une amélioration de la valeur (efficience), elle doit sortir des environnements de recherche et être intégrée et adaptée aux différents milieux cliniques. Pourtant, le système de santé du Québec adopte peu d’innovations, qu’il s’agisse de nouvelles pratiques, d’équipement récent ou de technologies de pointe.

Des chercheurs du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) et du Pôle santé HEC Montréal ont réalisé un projet de recherche dont l’objectif était de déterminer des politiques d’innovation efficaces en santé. Étant donné que la problématique semble liée à la demande pour l’innovation, la première étape du projet visait à relever, dans la littérature, les facteurs qui inhibent ou favorisent les décisions d’implanter une innovation. La deuxième étape consistait à déterminer si les facteurs en question s’appliquaient au système de santé québécois, de l’avis de ses acteurs. La troisième et dernière étape avait pour objet d’explorer les politiques d’autres juridictions qui contribuent à lever les obstacles reconnus. Autrement dit, il s’agissait de comprendre comment d’autres juridictions stimulent la demande pour des innovations en santé. Les paragraphes qui suivent résument les constats des trois étapes de cette recherche.

Les systèmes de santé qui favorisent l’intégration des innovations instaurent un environnement favorable à celle-ci en tenant compte des facteurs qui lui font obstacle. Les facteurs qui inhibent ou favorisent l’intégration des innovations, d’après la littérature, sont de trois ordres :

  • Le leadership du gouvernement : le rendement des investissements en R-D est conditionnel à l’importance que donne le gouvernement à l’intégration des innovations et aux mesures qu’il met en œuvre pour débloquer les entraves à cette intégration.
  • Le soutien de la population au gouvernement pour qu’il effectue les transformations qui s’imposent : cela suppose non seulement que les citoyens aient accès à l’information sur les enjeux de l’innovation et de la santé, sur les coûts du système et sur ceux de leur propre consommation de services — et qu’ils comprennent cette information —, mais aussi qu’ils exigent du gouvernement et d’eux-mêmes une plus grande responsabilisation et de la transparence.
  • L’orientation des mécanismes de gouvernance en santé vers l’amélioration de la valeur des services : les structures, les rôles, les modèles d’affaires, les incitatifs et le soutien (systèmes d’information, formation, etc.) doivent viser à responsabiliser tous les prestataires en fonction de la valeur des services offerts.

Forts de ces constats, les chercheurs ont interrogé un panel de 70 représentants de toutes les parties prenantes du système (à l’exception du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui n’a pas répondu à notre invitation) pour savoir si les facteurs relevés dans la littérature comme faisant obstacle à l’intégration des innovations correspondaient à la réalité québécoise. Selon le panel, tous les facteurs en question s’appliquaient également au Québec.

Le verdict est dur mais lucide : le contexte québécois est très peu favorable à l’innovation. Le Québec doit mobiliser tous ses efforts pour redresser la situation.

Les politiques d’innovation peuvent être catégorisées selon qu’elles soutiennent l’offre d’innovation ou la demande d’innovation. Les politiques d’offre sont les plus répandues et les mieux comprises. Elles supposent un processus linéaire de R-D et d’innovation, et tiennent malheureusement pour acquise la demande d’innovation. Ces politiques incluent toutes le financement de la R-D et des infrastructures de recherche, le soutien à la commercialisation et au démarrage des entreprises, ainsi que le capital de risque.

Puisque la compréhension du processus d’innovation a évolué d’un processus linéaire à un cycle de l’innovation qui tient compte de l’utilisation efficiente dans les milieux de pratique, les politiques d’innovation se sont graduellement transformées à leur tour. On observe ainsi de plus en plus d’initiatives visant à encourager la demande d’innovation tout en conservant le soutien apporté à l’offre d’innovation. L’amélioration de la réglementation, l’adoption de normes et le recours à l’approvisionnement public basé sur la valeur et non pas sur le plus bas soumissionnaire conforme sont les politiques de soutien à la demande les plus répandues.

La littérature propose, par ailleurs, que les juridictions qui intègrent le mieux les innovations sont celles qui ont encouragé une culture d’innovation au sein de l’administration publique et des services publics. Le développement d’une telle culture est soutenu par la formation, la décentralisation des responsabilités, la rémunération et le financement orientés sur la valeur, le soutien à la transformation, de même que par plus d’information et de transparence.

Le gouvernement du Québec reconnaît l’importance d’accroître l’innovation en santé. C’est pourquoi il a adopté la Stratégie québécoise des sciences de la vie 2017-2027. Au chapitre de l’intégration des innovations, la nouvelle stratégie propose quatre initiatives visant à la favoriser, soit la création d’un bureau de l’innovation, un meilleur accès aux marchés publics, l’accélération de l’évaluation des médicaments et le soutien à des évaluations en situation réelle de soins. Ces quatre initiatives soutiennent l’offre d’innovation et facilitent l’adoption de quelques innovations jugées prioritaires par le gouvernement. Malheureusement, rien ne laisse croire que les stratégies québécoises proposées stimuleront la demande d’innovation. Par ailleurs, aucune de ces stratégies ne tient compte du fait que les prestataires de soins ne sont pas des demandeurs d’innovation.

Pourtant, plusieurs commissions publiques et comités d’experts se sont penchés sur l’efficience du système de santé du Québec et ont proposé des stratégies pour l’améliorer. Nombre de ces stratégies, bien que recommandées par la majorité des experts et commissions, n’ont toujours pas été adoptées par le gouvernement. Au premier plan figurent la production et la diffusion de données utiles sur les coûts des services et leurs résultats par cas, l’évolution des mécanismes de financement et de rémunération en fonction des résultats, et la décentralisation et l’accroissement de la contractualisation des services. L’opposition suscitée chez différentes parties qui protègent avant tout leurs intérêts explique les réticences à agir des gouvernements qui se sont succédé. Pourtant, ces mêmes stratégies figurent parmi les principaux moyens favorisant l’innovation et donc un plus grand rendement des investissements en R-D. À notre avis, tant que la population n’exigera pas de meilleurs résultats du système de santé, le gouvernement continuera d’éviter d’implanter les changements qui s’imposent.

Photo : Shutterstock


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Joanne Castonguay
Joanne Castonguay est directrice de recherche à l’IRPP. Économiste, elle s’intéresse aux politiques qui favorisent l’intégration des innovations. Elle a contribué à l’élaboration de plusieurs projets de loi québécois par ses recherches et publications, notamment la série de rapports sur la gouvernance des grands projets d’infrastructure publique.
Nadia Benomar
Nadia Benomar est chargée de projets et coordonnatrice des activités de formation au sein du Pôle santé HEC Montréal. Elle participe à des études en santé et en services sociaux, et collabore à des projets portant entre autres sur le lean management et l’innovation en santé.
Marie-Hélène Jobin
Marie-Hélène Jobin est professeure titulaire au Département de la gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal, et directrice du Pôle santé HEC Montréal. Ses recherches sont centrées sur la gestion de la performance, l’amélioration des processus, l’innovation et l’excellence opérationnelle.
François Lespérance
François Lespérance est psychiatre et chercheur au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM), et professeur titulaire du Département de psychiatrie à l’Université de Montréal.

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