Il semblerait que « par moment, l’Assemblée nationale a des allures de marais », comme on le lit dans un ouvrage québécois qui vient de paraître ; « ça avance lentement, ça grenouille, l’oxygène s’y fait rare ». Nos dirigeants « nous abreuvent de fausses réalités et de discours d’experts pour mieux nous confondre et faire valoir des intérêts parfois inavouables », et le « peuple […] n’a pas vraiment son mot à dire sur les décisions qui dessinent son avenir ».

« Malheureusement », y constate-t-on encore, « de nos jours, on gouverne par les colonnes de chiffres ». De « grands accords commerciaux opaques » nous empêchent de taxer « à leur entrée au pays » les produits provenant de pays à bas salaires, et ils « donnent l’impression que le peuple, désormais, a choisi de ne plus décider de rien ». « Sans trop savoir ce que cela signifie, on souhaite tous plus ou moins le retour d’une espèce de nationalisme économique ».

Les institutions démocratiques qui ont « des allures de marais », les « fausses réalités » des dirigeants et des experts, le « peuple » qui ne peut « plus décider de rien », la mondialisation et les accords commerciaux prévenant un « nationalisme économique » qui permettrait d’imposer des tarifs sur les importations en provenance de pays moins riches : sommes-nous en présence d’émules québécois de Donald Trump ou de Marine Le Pen ?

Non. Ces constats et ces souhaits sont tirés du bilan de la tournée « Faut qu’on se parle », intitulé Ne renonçons à rien et présenté par Jean-Martin Aussant, Claire Bolduc, Véronique Côté, Maïtée Labrecque-Saganash, Aurélie Lanctôt, Karel Mayrand, Gabriel Nadeau-Dubois, Will Prosper et Alain Vadeboncoeur.

À la défense des auteurs, il faut convenir qu’ils n’avaient pas l’intention de produire un rapport, mais bien un compte rendu, « le bilan sensible de ces centaines d’heures passées à discuter ». Ils rapportent donc ce qu’ils ont entendu, et ils le font avec beaucoup d’élégance. Dans l’ensemble, leur bilan est aussi solidement ancré à gauche, en soutenant notamment un réinvestissement dans les services publics et la culture, une politique industrielle favorable à la transition écologique, des réformes démocratiques ouvrant la voie à la représentation proportionnelle, une plus grande ouverture à l’égard de la diversité et des revendications des peuples autochtones, et des politiques favorables aux familles.

Mais c’est un bilan somme toute prévisible, qui tend à éviter les sujets plus difficiles. Il n’est guère question, par exemple, des inégalités de revenu et encore moins de la pauvreté. C’est surtout la classe moyenne, aussi indéfinie que chez Justin Trudeau, qui fait l’objet de sollicitude. On ne parle guère non plus de la fiscalité, sauf pour mentionner brièvement de possibles écotaxes. Même la souveraineté du Québec apparaît comme un enjeu mineur, dont il faudrait parler plus positivement mais sans qu’elle ait préséance. Et pour réaliser les priorités somme toute assez consensuelles qu’ils retiennent, les auteurs misent sur « l’implication de tous ». Ils l’admettent, tout cela semble d’une « désarmante simplicité ».

Ce résultat décevant était inscrit dans la méthode. En invitant les gens à se prononcer de façon ouverte sur des thèmes larges, sans ressentir « le besoin de s’identifier aux pôles du spectre politique » ou sans même avoir à faire des choix difficiles, les auteurs ont engendré des solutions un peu convenues, d’une « désarmante simplicité ». Ils ont aussi créé une chambre d’écho pour les malaises de notre époque, d’où les parallèles avec le populisme d’un Donald Trump ou d’une Marine Le Pen. Méthode populiste, résultat populiste.

Beaucoup plus inspirant, à mon avis, est le petit bouquin lancé récemment par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), Cinq chantiers pour changer le Québec. Les contributeurs n’échappent pas toujours à l’hyperbole : ils parlent par exemple de « ce vaste échec qu’est notre histoire politique et économique récente » ! Ils se donnent tout de même comme défi de proposer cinq chantiers audacieux mais réalisables, qu’un gouvernement progressiste pourrait mettre en marche dans un premier mandat. Réduction du temps de travail ; démocratisation du travail, de l’économie et des services publics ; instauration de mesures pour couvrir les besoins de base des plus pauvres ; nouveaux modes de gestion du territoire avec notamment l’introduction de fiducies foncières communautaires et d’organismes foncièrement utiles ; et politique environnementale axée sur un « budget carbone » et le développement du transport collectif : la liste est limitée mais ambitieuse. Elle est surtout claire et réfléchie, et commande des choix réels qui s’inspirent de pratiques documentées, ici et ailleurs. Sans chiffrer tous les coûts et retombées, les propositions de l’IRIS sont tout de même précises, et elles ouvrent la porte à de sérieuses délibérations, le long de nouvelles avenues.

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Le PQ repensé de Paul St-Pierre Plamondon n’est pas un parti populiste mais plutôt un parti social-démocrate moderne, ouvert à la diversité, à l’aise avec le savoir, le changement et la mondialisation.

Sur un tout autre registre, le rapport d’étape tout juste remis par Paul St-Pierre Plamondon au Parti québécois — « Oser repenser le PQ : retrouver l’esprit d’aventure, faire renaître l’espoir  » — constitue aussi un modèle. Comme pour « Faut qu’on se parle », l’exercice impliquait une vaste tournée de consultation auprès de membres du PQ et d’autres personnes intéressées. Mais le regard posé est plus sévère et l’objet, nettement plus politique. Il s’agit en effet de « repenser le PQ », ce parti que d’aucuns jugent « figé, conservateur et vieillissant », pour faire notamment une plus grande place aux moins de 40 ans, aux membres de la diversité et aux entrepreneurs.

St-Pierre Plamondon a le mérite d’aborder de front les difficultés de son parti et de proposer une panoplie de mesures concrètes pour y faire face. Son rapport ménage bien sûr les susceptibilités, mais il ne cherche pas vraiment à plaire à tout le monde. Il suggère notamment de mettre de côté la nostalgie pour bâtir un « discours constructif » sur la souveraineté, de redéfinir le nationalisme du PQ pour « l’éloigner du populisme et de l’intolérance », et de « ramener le savoir à la base des propositions » du parti en « faisant référence aux meilleures pratiques à travers le monde et aux études universitaires ».

Pour renouer avec les jeunes, St-Pierre Plamondon propose de « s’approprier les thèmes de l’international, de la mondialisation et de l’ouverture sur le monde », en combinant un appui lucide à la libéralisation des échanges avec une défense du principe d’exception culturelle et une préoccupation active pour « les inégalités de revenu à l’échelle planétaire ». Il suggère également de rompre avec une stratégie identitaire axée sur la laïcité et de s’engager fermement en faveur d’une réforme du mode de scrutin et de la protection de l’environnement. Pour rejoindre les membres de la diversité, le rapport recommande de faire de la lutte contre la discrimination et le racisme une priorité, et de renouer avec les valeurs du parti, en insistant notamment sur la lutte contre les inégalités sociales.

Le PQ repensé de Paul St-Pierre Plamondon n’est pas un parti populiste visant à affirmer la fibre identitaire et les préoccupations économiques d’une classe moyenne imaginée, mais plutôt un parti social-démocrate moderne, ouvert à la diversité, à l’aise avec le savoir, le changement et la mondialisation, engagé à cheminer vers la souveraineté et résolument progressiste sur le plan social. Mettre en œuvre une telle vision ne sera certainement pas d’une « désarmante simplicité ». Mais la proposition semble autrement plus engageante qu’une opposition sommaire entre les souhaits du « peuple » et les aléas du « marais ».

Photo: Shutterstock.com


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