L’histoire de l’économie sociale est celle des hommes et des femmes qui se mobilisent pour répondre aux défis de leur époque et aux besoins de leur milieu. Depuis plus d’une centaine d’années, les entreprises collectives ont contribué au développement d’une société et d’une économie plus humaines. Aujourd’hui, on trouve plus de 7 000 entreprises collectives au Québec ; elles procurent du travail à plus de 210 000 personnes, soit 5 % des travailleurs. Le nombre d’emplois au sein de ces entreprises est comparable à celui des secteurs du commerce de gros ou des services aux entreprises. En 2002, le chiffre d’affaires annuel des entreprises d’économie sociale au Québec était de 17 milliards de dollars, il avoisine les 40 milliards de dollars aujourd’hui, et cela, en comptant uniquement les entreprises constituées en coopérative ou en mutuelle. Cette part substantielle du produit intérieur brut du Québec est équivalente aux secteurs combinés de l’aéronautique, de la construction et des mines. Indubitablement, l’économie sociale joue un rôle de premier plan dans le développement des territoires.

De plus en plus d’acteurs, notamment les municipalités, reconnaissent l’apport de cette forme d’économie citoyenne qui, en plus de créer de la richesse, remplit une mission sociale et contribue à une meilleure répartition de cette richesse. Les entreprises collectives sont enracinées dans les milieux où elles prennent forme, et leur impact sur la vitalité des territoires se traduit de plusieurs manières :

  • elles créent des emplois locaux qui ne peuvent pas être délocalisés ;
  • les produits et les services qu’elles offrent à la population contribuent à dynamiser les milieux ;
  • dans certains secteurs rentables mais offrant des taux de rendement jugés trop bas par certains investisseurs privés, elles sont parfois les seules intéressées à dispenser des services. Elles contribuent alors à revitaliser des quartiers urbains autant que des communautés rurales et freinent l’exode des populations ;
  • les surplus qu’elles génèrent sont réinvestis dans la communauté ;
  • leurs missions sociales, culturelles et environnementales contribuent à la cohésion sociale ;
  • elles affichent un taux de survie de beaucoup supérieur au secteur privé traditionnel.

L’économie sociale est enracinée à la fois dans la mobilisation et la délibération citoyenne. Fortes de cet ancrage, les entreprises collectives proposent des réponses originales à plusieurs enjeux actuels. Tous en conviennent, l’innovation est une nécessité continuelle dans une société, l’innovation technologique, bien sûr, mais aussi l’innovation sociale. Véritable R-D sociale, y compris au plan organisationnel, l’innovation sociale permet de faire les choses autrement, de trouver de nouvelles solutions aux problèmes de nos sociétés et de mieux mettre en valeur leur potentiel, contribuant ainsi à la prospérité.

Les multiples innovations sociales que le Québec a mises au point depuis 30 ans, particulièrement en développement territorial et en économie sociale, constituent autant d’atouts pour l’avenir. Les Centres de la petite enfance (CPE) en sont un excellent exemple. Depuis 1997, ce réseau d’entreprises collectives — qui a introduit un nouveau modèle de services de garde éducatifs, administré par les parents —, a contribué directement au retour de plus de 70 000 femmes sur le marché du travail et à un recul important du nombre d’enfants de 0 à 5 ans vivant en contexte de pauvreté. La liste des exemples probants ne cesse de s’allonger : entreprises d’aide à domicile, entreprises d’insertion, coopératives d’habitation, cliniques de proximité, logement étudiant, ateliers d’artistes…

L’économie sociale attire aussi les jeunes. Ils font preuve d’un engouement croissant pour l’entrepreneuriat collectif et multiplient les initiatives, reflétant ainsi la mobilisation en faveur d’une meilleure intégration des enjeux sociaux et environnementaux dans les processus de développement économique. La nouvelle génération d’entrepreneurs collectifs investit désormais des secteurs en émergence — nouvelles technologies, souveraineté alimentaire, environnement, culture —, où elle n’était pas très présente historiquement, dans une perspective de transformation des collectivités et de construction d’un patrimoine collectif. On retrouve ainsi plusieurs projets en urbanisme, en conception de jeux vidéo ou en production humoristique. Bien évidemment, les jeunes souhaitent trouver un sens à leur travail et constater les résultats de leur engagement. Les entreprises d’économie sociale leur permettent de réaliser leurs aspirations tout en leur fournissant un milieu démocratique dans lequel ils accèdent aux instances décisionnelles et vivent une citoyenneté plus active. Dans cette perspective, l’économie sociale augmente l’intérêt des jeunes à s’établir dans une nouvelle région en combinant activités économiques et ancrage dans la communauté. Parlez-en aux membres des coopératives de travailleurs Le temps d’une pinte, une microbrasserie située à Trois-Rivières, ou du Studio créatif Coloc, une boîte de designers graphiques de Gatineau !

Les deux dernières décennies ont permis de démontrer à quel point les entreprises d’économie sociale ont eu un rôle important à jouer dans la réponse aux besoins des collectivités partout au Québec. Les Journées de la culture, par exemple, font des arts et de la culture une grande fête populaire, qui se déroule dans plus de 400 villes et villages, d’un bout à l’autre du Québec. Ainsi, Culture pour tous, qui organise ces deux jours de festivités annuelles, contribue directement et concrètement à intégrer les arts et la culture à la vie individuelle et collective en favorisant la participation des citoyens. Par sa capacité d’innovation et de mobilisation de ressources diverses, l’économie sociale fait donc preuve d’une capacité à se développer de manière souple et créative. Elle répond ainsi à de nombreux besoins trop souvent ignorés par l’entreprise privée. Par sa nature même, l’entrepreneuriat collectif assure aussi un développement plus inclusif, qui peut réduire les inégalités et améliorer la qualité de vie.

Les sociétés les plus équilibrées dans le monde sont celles qui ont su s’appuyer sur trois piliers forts et fonctionnels : le pilier gouvernemental, le pilier privé et le pilier collectif. Si l’un ne va pas sans l’autre, chaque pilier doit cependant prendre toute la place qui lui revient. Bien que le Québec soit un leader en ce qui a trait au pilier collectif, il n’en demeure pas moins qu’une large part du potentiel de ce pilier soit encore inexploitée.

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Tout au long de la dernière année, le Chantier de l’économie sociale a réalisé une tournée régionale, qui a été l’occasion pour tous les acteurs d’affirmer haut et fort la nécessité d’innover pour répondre aux besoins des collectivités et la pertinence des entreprises collectives pour ce faire. Malheureusement, les dernières années n’ont pas été faciles pour l’économie sociale, son écosystème ayant été sérieusement malmené. Des acteurs de soutien et d’accompagnement ont disparus (par exemple les Centres locaux de développement), tout comme de nombreux lieux de concertation et de participation de la société civile (les Forums jeunesse, Solidarité rurale, entre autres).

Pour que toutes les régions et toutes les collectivités au Québec puissent progresser, il faut donner aux citoyens les moyens de prendre en charge leur développement : c’est le message central que nous avons entendu pendant un an. Partout, les acteurs en appellent à la reconstruction d’une infrastructure sociale et économique capable de soutenir un développement collectif et une prospérité inclusive dont les retombées sont à la fois économiques, sociales, environnementales et culturelles. L’entrepreneuriat collectif peut certes continuer à y jouer un rôle stratégique partout au Québec pour peu que l’État reconnaisse l’importance de son action et lui donne les moyens de se déployer. Il faudrait notamment que le gouvernement adapte ses programmes de soutien aux entreprises (R-D, relève d’entreprise, etc.) pour tenir compte des nouvelles réalités et des nouveaux modèles d’affaires propres à l’entrepreneuriat collectif.

Depuis de nombreuses années, les acteurs de l’économie sociale œuvrent à la construction d’une nouvelle logique économique, et les rangs de ceux qui en appellent à une autre façon de développer ne cessent de croître. L’intérêt actuel pour l’entrepreneuriat social en témoigne avec éloquence. Les effets négatifs d’un certain mode de développement se font de plus en plus sentir. La situation environnementale qui ne cesse de se détériorer et les inégalités sociales qui continuent de croître ne sont que deux exemples des conséquences néfastes d’un modèle de développement qui nuit au bien-être des sociétés. De l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui plaide aujourd’hui pour une croissance inclusive, au Fonds monétaire international, qui reconnaît maintenant l’inefficacité des politiques d’austérité, les appels en faveur d’un changement de logique économique se multiplient. Ce que nous devons construire pour demain, c’est un Québec de plus en plus prospère, partout, pour tous !

Cet article fait partie du dossier L’évolution des modes de travail.

Photo: Shutterstock.com / Alina R


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Martin Frappier
Martin Frappier est directeur, Communications et recherche, au Chantier de l’économie sociale, un organisme qui vise à promouvoir l'économie sociale et à participer à la démocratisation de l’économie.

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