Selon l’Union interparlementaire, une organisation de la concertation parlementaire à l’échelle mondiale, les femmes représentent encore moins du quart des membres des chambres basses ou uniques des parlements nationaux dans le monde, soit 22,8 % (données d’avril 2016). Le Canada se situe un peu au-dessus de cette moyenne mondiale avec 26 % de femmes à la Chambre des communes. Plusieurs facteurs expliquent le déficit de représentation des femmes en politique, dont leur socialisation différente (le peu de modèles de rôle pour les femmes, par exemple), les obligations familiales pour celles qui ont de jeunes enfants, un réseau sociopolitique qui peut être perçu par les élites et les membres des partis politiques comme moins efficace que celui dont disposent les hommes.

Les études sur la représentation des femmes en politique s’accordent sur le rôle important que joue le système électoral dans l’élection de candidates. En effet, une pléthore de travaux démontrent qu’en règle générale, les scrutins proportionnels permettent d’élire un plus grand nombre de femmes dans les parlements que les scrutins majoritaires. En comparant le pourcentage de femmes dans les parlements des 89 pays considérés comme libres en 2013 (selon l’organisation non gouvernementale américaine Freedom House), j’ai pu constater que les parlements qui élisent leurs membres par scrutin majoritaire comptent deux fois moins de femmes parlementaires que ceux qui utilisent le scrutin proportionnel ou mixte (voir 100 questions sur les femmes et la politique, Éditions du Remue-ménage, 2008).

Les personnes qui militent en faveur d’une meilleure représentation des femmes en politique connaissent bien les failles du système majoritaire uninominal à cet égard. C’est pourquoi elles se sont mobilisées lorsque quelques provinces (la Colombie-Britannique, l’Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick, l’Ontario et le Québec) ont envisagé, entre 2000 et 2010, de réformer le mode de scrutin de leur assemblée législative. Si l’augmentation du nombre de femmes parlementaires n’était pas toujours une valeur phare dans ces entreprises réformistes, toutes ont recommandé que soit modifié le mode de scrutin provincial pour l’enrichir d’une composante plus ou moins substantielle de proportionnalité. Hélas, en raison d’un manque de volonté politique, aucune province n’a donné suite à ces propositions.

Voilà qu’une autre réforme électorale pointe à l’horizon, cette fois-ci sur la scène fédérale. Au contraire de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis (1992), dont le mandat ne comprenait aucune réflexion sur les limites du scrutin majoritaire uninominal, celle-ci placera au cœur de ses préoccupations le dispositif qui traduira la volonté populaire en sièges au Parlement. Ce sera l’occasion de se doter d’un mode de scrutin à même de redresser le déficit de représentation qui frappe les femmes à la Chambre des communes. Mais comment redéfinir le mode de scrutin pour qu’il sourie aux femmes ?

Quel que soit le mode de scrutin, si l’establishment d’un parti politique veut avoir des femmes au sein de son aile parlementaire, il en aura.

Avant d’aller plus loin, quelques précisions s’imposent. Primo, le mode de scrutin majoritaire n’est pas intrinsèquement hostile aux femmes ; il peut être adapté de manière à favoriser la parité des femmes et des hommes en politique. En 1995, la Commission d’établissement du Nunavut avait proposé que le futur troisième territoire canadien se dote d’un scrutin majoritaire, binominal et paritaire : chaque électrice et chaque électeur aurait détenu deux votes (exercés lors d’un tour unique), l’un devant être donné obligatoirement à une candidate et l’autre à un candidat. La candidate et le candidat ayant obtenu le plus grand nombre de votes auraient assumé la représentation d’une circonscription. Ce mode de scrutin majoritaire (rappelant le « vote bloqué ») aurait mené à la parité femmes-hommes à l’Assemblée législative du Nunavut. Soumise au peuple par référendum, cette proposition a été défaite.

Secundo, se départir du scrutin majoritaire au profit d’un scrutin proportionnel ou mixte (qui prévoit l’élection d’un certain nombre de sièges de circonscription au scrutin majoritaire et d’autres selon des listes établis par les partis) n’assure pas automatiquement la féminisation accrue d’une assemblée législative, comme le montrent deux expériences. En 1986, la France a opté, le temps d’une élection, pour un scrutin proportionnel, qui n’a eu aucun effet significatif sur la féminisation de l’Assemblée nationale, la députation féminine passant de 5,3 % en 1981 (sous le scrutin majoritaire) à 5,9 % en 1986 (au scrutin proportionnel). Quant à la Nouvelle-Zélande, elle a abandonné au cours de la période 1993-1996 le scrutin majoritaire uninominal au profit d’un scrutin proportionnel mixte. Les premières élections sous le nouveau régime électoral ont amené 28,3 % de femmes à la Chambre des représentants [sic], contre 21,2 % après le dernier scrutin majoritaire. S’il s’agit là d’un bond appréciable de 7 %, il faut préciser que la proportion de femmes à la Chambre était en croissance régulière depuis 1981 (passant de moins de 5 % à un peu plus de 20 %) et que les scrutins à la suite de celui de 1996 se sont traduits par une quasi-stagnation du taux de féminisation des parlementaires au pays. Ainsi, il se situait à 31,4 % en avril 2016.

Tertio, le mode de scrutin est une structure inerte qu’animent les partis politiques par l’usage stratégique qu’ils en font. En d’autres mots, la féminisation des espaces parlementaires relève des partis politiques et non du mode de scrutin, quoique celui-ci façonne les stratégies électorales de ceux-là. Je soutiens ainsi que si l’establishment d’un parti politique veut avoir des femmes au sein de son aile parlementaire, il en aura, quel que soit le mode de scrutin.

Je reviens à la question : comment redéfinir le mode de scrutin pour qu’il sourie aux femmes ? Comme il l’a été dit plus haut, les parlements constitués par scrutins proportionnels (ou mixtes) comptent en moyenne deux fois plus de femmes que les parlements issus de scrutins majoritaires. Les modes de scrutin proportionnels (ou mixtes) sont donc une voie plus prometteuse vers un équilibre femmes-hommes à la Chambre des communes, et ce, parce que leur fonctionnement incite les partis à ouvrir leurs portes aux femmes. La présentation des candidatures crée une telle incitation. Alors que le scrutin en vigueur au Canada exige que chaque parti ne présente qu’une candidature par circonscription électorale — candidature sur laquelle seront braqués tous les projecteurs —, en scrutin proportionnel, chaque parti propose une liste de candidatures par district électoral — qui sera appréciée dans son ensemble. Dès lors, il peut être fort gênant pour une formation politique — et surtout peu stratégique en termes de marketing électoral — d’offrir à l’électorat une équipe uniforme composée d’hommes blancs, hétéros, mariés, de la classe moyenne, etc. Certes, ce raisonnement repose sur l’hypothèse que l’électorat prendra le temps d’analyser la composition de la liste qu’un parti lui soumet, qu’il sera déçu de sa composition s’il y a un nombre insuffisant de femmes sur la liste, par exemple, et que cette déception l’amènera à ne pas soutenir cette liste. L’hypothèse reste toutefois à démontrer.

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Les listes étant pratiquement la règle dans les scrutins proportionnels, la question se pose alors de savoir si elles sont plus efficaces pour élire des femmes lorsqu’elles sont fermées (c’est-à-dire lorsque l’ordre des candidates et candidats est fixé par le parti) ou, plutôt, ouvertes (où l’ordre est déterminé par l’électorat). Autrement dit, il faut se demander si les rapports de force qui orchestrent la constitution des listes doivent s’exercer au sein des partis ou provenir de l’extérieur (de l’opinion publique par exemple). Les listes ouvertes offrent une liberté de choix appréciable à l’électorat (surtout en situation de panachage, lorsque chaque personne peut composer sa propre liste en rayant ou en remplaçant des noms), mais elles comportent souvent toutes sortes de règles qui rendent l’élection des candidates ou des candidats de liste plus difficile (comme l’illustre le cas de la Belgique). Et cela sans compter qu’elles déresponsabilisent les partis face à la féminisation des parlements. Les listes fermées, au contraire, affichent clairement l’engagement des partis envers les femmes : les candidates occupent-elles des positions sur la liste qui présentent un réel potentiel d’élection ? Qui plus est, les listes fermées se prêtent à des mesures d’égalité électorale, comme les quotas de l’égalité femmes-hommes. En exigeant que les candidatures inscrites alternent entre femmes et hommes du début à la fin, et que les têtes de liste présentées par une formation politique alternent aussi selon le genre, on permettra une représentation équilibrée des femmes et des hommes en politique — à condition de prévoir des pénalités pour le non-respect.

On objectera que les quotas sont étrangers aux institutions politiques canadiennes. C’est faux. Premier exemple : la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que la représentation au Sénat repose sur des quotas régionaux. Deuxième exemple : pour former son cabinet, une première ou un premier ministre doit respecter un certain nombre de règles non écrites selon une pratique bien établie au fil du temps. Ainsi, sur la scène fédérale, il lui faudra retenir des anglophones et des francophones, des femmes et des hommes, des personnes issues des principales régions canadiennes ainsi que des minorités ethniques, entre autres. Ce sont là des quotas — sans qu’on utilise le mot.

Il existe donc plusieurs moyens pour arriver à une meilleure représentation politique des femmes. Et il faut souhaiter que la réforme électorale qui s’annonce constitue pour les femmes une lueur d’espoir plutôt qu’un pétard mouillé.

Cet article fait partie du dossier La réforme électorale.

Photo : Shutterstock / Syda Productions

 

 


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Manon Tremblay
Manon Tremblay est professeure titulaire à l'École d'études politiques à l'Université d'Ottawa. Ses recherches portent notamment sur les femmes en politique et le mouvement LGBT au Canada.

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