Le récent ouvrage collectif de l’IRPP sur les inégalités de revenu au Canada attire encore davantage notre attention sur la question de la redistribution, qui est directement liée à celle du rôle de l’État-providence dans notre société. Un des faits importants que l’ouvrage fait ressortir est la baisse marquée du taux de pauvreté chez les personnes âgées depuis le milieu des années 1970. Ainsi, A. Heisz observe dans son chapitre (p. 90) que le pourcentage de personnes de plus de 65 ans vivant sous le seuil de faible revenu est passé de 30,4 % en 1977 à 5,2 % en 2011.

Cette baisse est due à une certain nombre de facteurs économiques, mais aussi à la nature du système public de pensions parachevé au milieu des années 1960. En effet, en plus de la création en 1965 du Régime de pensions du Canada (RPC) et du Régime de rentes du Québec (RRQ), l’avènement du Supplément de revenu garanti (SRG), l’année suivante, a joué un rôle essentiel dans la lutte contre la pauvreté chez les personnes âgées (voir M. Wiseman et M. Yčas).

Le SRG, un régime complémentaire à la Sécurité de la vieillesse (SV), est un programme d’aide sociale efficace en la matière. Il est financé par l’impôt et cible uniquement les gens à faible revenu, d’où sa fonction hautement redistributive. Parce qu’il concerne des personnes âgées vulnérables, le SRG a la faveur populaire, contrairement aux programmes d’aide sociale pour les sans-emploi (voir D. Béland et P.-M. Daigneault).

Si le taux de pauvreté chez les personnes âgées au Canada se compare à la Suède, selon M. Wiseman et M. Yčas, et se distingue nettement de celui des États-Unis et du Royaume-Uni (où il est beaucoup plus élevé), l’efficacité relative de notre système public de pensions pour réduire la pauvreté a toutefois un coût. Au Canada, environ la moitié des dépenses publiques dans le domaine des pensions de vieillesse est financée par l’impôt, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays : les États-Unis ou la France, par exemple, financent la majorité des pensions au moyen de contributions obligatoires, dont le niveau est parfois beaucoup plus élevé qu’au Canada (voir les données récentes de l’OCDE sur la question ainsi que l’analyse de D. Béland et J. Myles).

Pour contrer en partie la hausse anticipée des dépenses budgétaires fédérales dans le domaine des pensions dans un contexte de vieillissement démographique accéléré, le gouvernement Harper avait annoncé en 2012 une hausse graduelle de l’âge d’admissibilité à la SV et au SRG (sans toutefois augmenter l’âge d’admissibilité au RPC et au RRQ), le faisant passer de 65 à 67 ans, qui aurait été mise en place entre 2023 et 2029. Mais le gouvernement Trudeau, aussitôt élu, a décidé d’abandonner ce projet, ce qui, d’un point de vue redistributif, était la chose à faire. Si la mesure avait été appliquée, elle aurait pénalisé davantage les personnes à faible revenu, qui dépendent directement de la SV et du SRG pour maintenir leur sécurité économique.

Il n’en reste pas moins que cette décision du gouvernement Trudeau privera le trésor fédéral d’environ 11 milliards de dollars par année à partir de 2030. Pour Ottawa, il existe une solution fiscalement équitable à ce défi budgétaire à long terme : mettre fin à l’universalité de la SV tout en maintenant, voir en renforçant, le rôle redistributif du SRG. Bien que cette proposition puisse sembler radicale, il ne faut pas oublier que la SV n’est plus véritablement un régime universel depuis 1989, lorsque le gouvernement Mulroney décida de récupérer par l’impôt les pensions de la SV versées aux mieux nantis. Cette mesure est toujours en place, mais elle touche moins de 5 % de prestataires. En excluant un plus grand nombre de personnes âgées à haut revenu des prestations de la SV, le gouvernement fédéral pourrait, tout en élargissant son soutien aux personnes à faible revenu, faire des économies appréciables. Une telle réforme pourrait s’effectuer graduellement, sans toucher les retraités actuels ou ceux qui sont proches de l’âge d’admissibilité à la SV.

La solution fiscalement équitable serait de mettre fin à l’universalité de la SV tout en renforçant le rôle redistributif du SRG.

Cette réforme serait tout à fait compatible avec la logique redistributive qui est au centre des récents changements apportés aux prestations familiales par le gouvernement Trudeau, soit l’abolition de la Prestation universelle pour la garde d’enfants et la création de l’Allocation canadienne pour enfants. En excluant les mieux nantis de ces prestations tout en augmentant le soutien aux familles à faible et moyen revenu, Ottawa a choisi une politique explicitement redistributive qui pourrait être étendue aux pensions. D’ailleurs, dans son budget de 1996, le gouvernement Chrétien avait adopté une approche similaire dans ce domaine en proposant le remplacement de la SV et du SRG par une Prestation aux aîné(e)s, dans le but d’en exclure les mieux nantis tout en améliorant la protection offerte aux personnes âgées moins fortunées. Abandonnée quelques années plus tard dans un contexte de surplus budgétaires fédéraux, cette approche mériterait d’être réexaminée aujourd’hui, dans le contexte fiscal et démographique actuel.

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Reste à savoir comment un tel retour à la logique redistributive de la Prestation aux aîné(e)s pourrait s’articuler avec l’élargissement possible du RPC dont on débat actuellement dans l’arène intergouvernementale. Si Ottawa et les provinces parvenaient à s’entendre sur le sujet, une augmentation des cotisations salariales versées au RPC, couplée avec l’abandon d’une SV universelle, pourrait directement favoriser une réduction du financement par l’impôt de notre système public de retraite. Simultanément, la hausse des prestations du RPC (et possiblement du RRQ) compenserait, du moins en partie, la perte de revenu que subiraient les personnes âgées alors exclues de la SV.

Si, au contraire, le RPC demeurait inchangé, les révisions proposées ici concernant la SV et le SRG pourraient s’orienter davantage vers l’amélioration de la situation économique des personnes âgées dont le revenu est inférieur à la moyenne. Compte tenu du déclin des pensions offertes par les employeurs et des limites bien connues de l’épargne individuelle, une SV et un SRG conçus en termes d’une plus grande redistribution pourraient représenter une réponse à la fois progressiste et fiscalement responsable à la question de la sécurité du revenu chez les personnes âgées.

Photo : de Visu / Shutterstock.com

Cet article fait partie du dossier L’enjeu des inégalités de revenu.

 


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Daniel Béland
Daniel Béland is director of the McGill Institute for the Study of Canada and James McGill professor of political science at McGill University. Twitter @danielbeland and LinkedIn.

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