Malgré une croissance économique réelle de 2,3 p. 100 par an depuis le début des années 1980, la situation relative du Québec se dégrade et il deviendra de plus en plus difficile, voire impossible, pour ce dernier de maintenir des services de qualité comparables à celles de ses partenaires économiques immédiats. Le Québec a un urgent besoin de réformes importantes et courageuses pour sortir du sillon de la sous-performance systématique. Cette situation dure depuis 25 ans : il est temps d’y mettre fin.

De 1981 à 2006, le taux de croissance annuel moyen du produit intérieur brut (PIB) réel québécois a été de 2,3 p. 100 comparativement à 3,0 p. 100 dans le reste du Canada. Ceci représente une augmentation du PIB réel de 76,6 p. 100 au Québec par rapport à 109,9 p. 100 dans le reste du Canada. Le PIB réel québécois ne représentait plus en 2006 que 20,5 p. 100 du PIB réel canadien, soit une diminution de 2,9 points de pourcentage depuis 1981. Si le rythme de la croissance des sept dernières années (1999-2006) se maintient, l’économie du Québec ne représentera plus que 17,5 p. 100 de l’économie canadienne dans 25 ans.

La part des investissements privés dans le PIB réel est systématiquement plus faible au Québec que dans le reste du Canada. L’écart 2000-2006 est de 2,75 points de pourcentage, ce qui correspond à un déficit d’investissements privés au Québec de 6,8 milliards $ en 2006. En dépit d’investissements publics plus importants, la part des dépenses totales d’investissement reste plus faible au Québec. Ceci implique une dégradation continuelle des capacités de production et d’innovation, et donc éventuellement de la position concurrentielle et de la compétitivité du Québec. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le Québec exportait en 2000-2006 près de 60 p. 100 de sa production (ainsi, trois emplois sur cinq dépendent de débouchés extérieurs), dont les deux tiers à l’international.

Entre 1981 et 2006, le nombre total d’emplois a augmenté de 34,9 p. 100 au Québec, de 49,5 p. 100 dans le reste du Canada et de 43,8 p. 100 aux États-Unis. Pendant cette période, le Québec a créé 18,8 p. 100 des (16,6 p. 100 des emplois à temps plein et 25,3 p. 100 des emplois à temps partiel). Ainsi l’économie du Québec a créé systématiquement moins d’emplois, et surtout moins d’emplois à temps plein, en proportion de sa population (23,5 p. 100 de la population canadienne en 2006). Si le Québec avait créé des emplois au même rythme que le reste du Canada et les États-Unis, ce sont 261 000 emplois de plus (ou 26,8 p. 100) qui auraient été effectivement créés.

Le taux d’emploi, mesuré par la proportion de la population de 15 ans et plus détenant un emploi, s’est établi en moyenne à 56,5 p. 100 au Québec, à 61,3 p. 100 dans le reste du Canada et à 62 p. 100 aux États-Unis de 1981-2006. Pour 2000-2006, le taux d’emploi a été de 59,4 p. 100 au Québec et de 63 p. 100 dans le reste du Canada et aux États-Unis. Pour réaliser la même performance, il faudrait au Québec 192 000 emplois de plus (ou 5,1 p. 100) que ceux qu’il comptait en 2006. Ces résultats impliquent que l’écart « véritable » entre les taux de chômage au Québec (8 p. 100 en 2006), dans le ROC (5,8 p. 100) et aux États-Unis (4,6 p. 100) est en réalité plus important que ce que les chiffres officiels laissent voir. En effet, une création d’emplois trop faible peut amener plusieurs individus à prendre leur retraite ou simplement à cesser leur recherche d’emploi, auquel cas ils ne sont plus chômeurs sans pour autant travailler. Le véritable taux de chômage au Québec en 2006 est probablement plus près de 11 p. 100 que du taux officiel de 8 p. 100.

Le taux d’emploi des hommes de 55 à 64 ans vient d’une certaine manière corroborer cette hypothèse. Ce taux a baissé de manière significative au Québec (66,8 p. 100 en 1981 et 55,9 p. 100 en 2006) par rapport au reste du Canada (71,6 p. 100 et 65,2 p. 100) et aux États-Unis (68,1 p. 100 et 67,5 p. 100). Ainsi, le Québec accusait en 2006 un retard de 9,3 points par rapport au ROC et de 11,6 points par rapport aux États-Unis. Ce fait est troublant dans la mesure où cette classe de travailleurs représente une importante source d’expérience et de savoir-faire sous-utilisée, soit l’équivalent en 2006 de 50 000 emplois.

Au niveau des prestataires d’assurance-emploi, la situation peu enviable du Québec au sein du Canada ne s’est guère améliorée au cours des 25 dernières années. Bon an mal an, environ le tiers des prestataires d’assurance-emploi au Canada proviennent du Québec, ce qui se traduit par un taux de prestataires nettement supérieur au Québec qu’ailleurs au Canada : 61,3 prestataires par 1000 habitants (de 20 à 64 ans) au Québec comparativement à 47,8 dans le reste du Canada en 1986 ; 37,4 au Québec et 22,3 dans le reste du Canada en 2006. Ainsi, les taux de prestataires étaient supérieurs au Québec par rapport au reste du Canada de 28,2 p. 100 en 1986 et de 67,7 p. 100 en 2006.

En ce qui concerne la rémunération hebdomadaire moyenne (incluant le temps supplémentaire), la position du Québec par rapport au reste du Canada s’est dégradée depuis 15 ans. Alors que le niveau relatif de la rémunération hebdomadaire moyenne au Québec par rapport au Canada était près de 98 p. 100 en 1991-1995, ce taux n’atteint plus que 95 p. 100 en 1996-2006 et 94,1 p. 100 en 2006.

En 25 ans, la population âgée de 15 ans et moins a diminué de 11,8 p. 100 au Québec alors qu’elle a augmenté de 6,8 p. 100 dans le reste du Canada et de 20,3 p. 100 aux États-Unis. La population de 15 à 64 ans a augmenté de 16,8 p. 100 au Québec comparativement à 40,4 p. 100 dans le reste du Canada. Ainsi, les données sur le PIB par habitant cachent une réalité complexe et troublante : en termes relatifs, le Québec perd sa population. De plus, le vieillissement de la population est beaucoup plus rapide ici que dans le reste du Canada et aux États-Unis.

L’évolution du PIB par habitant, c’est-à-dire le PIB réel divisé par la population totale, suit une tendance plutôt différente de celle du PIB. En effet, puisque la population du Québec augmente plus lentement que celle du reste du Canada, le PIB réel par habitant au Québec suit à peu près le même rythme que celui des autres provinces : une augmentation de 51,1 p. 100 au Québec comparativement à 53,6 p. 100 dans le reste du Canada entre 1981 et 2006 (voir le graphique 1). Certains peuvent se réconforter de ce fait. C’est une grave erreur : les taux de croissance sont similaires mais les niveaux diffèrent. En conséquence, le fossé s’accroît sur le plan du niveau de vie. Ainsi, l’écart entre le PIB réel par habitant au Québec et celui du reste du Canada pour une famille de quatre personnes a augmenté (en dollars constants de 1997) de 9 940$ ou 68 p. 100 entre 1981 et 2006.

Malgré une performance économique positive mais relativement décevante depuis 1981, le Québec a pu, grâce à la faible croissance de sa population, maintenir la croissance de son PIB par habitant de manière semblable à celle du reste du Canada. Or, le coût total des biens et services publics comprend à qualité donnée une part fixe non négligeable. Ainsi, de nombreux types d’infrastructures ne sont pas proportionnellement moins dispendieux lorsque la population augmente moins rapidement. Par conséquent, on peut s’attendre à ce que le Québec rencontre des difficultés croissantes à maintenir dans l’avenir la même qualité de biens et services publics et sociaux que celle que le reste du Canada pourra s’offrir.

Par conséquent, on peut s’attendre à ce que le Québec rencontre des difficultés croissantes à maintenir dans l’avenir la même qualité de biens et services publics et sociaux que celle que le reste du Canada pourra s’offrir.

La sous-performance du Québec au chapitre de la création d’emplois n’est pas sans lien avec sa faible croissance démographique. Une croissance plus faible des emplois implique une croissance plus faible de la population dans la mesure où cette population est suffisamment mobile pour réagir rapidement aux différences dans le nombre et la qualité des emplois créés. Dans une économie ouverte comme celle du Québec, on peut raisonnablement affirmer que la faible croissance relative des emplois au Québec explique la faiblesse relative de sa croissance démographique, tant dans sa composante « reproduction » que dans sa composante « immigration ».

Caractériser l’évolution comparée de la dette du Québec est une opération délicate dans la mesure où il existe plusieurs outils différents pour la mesurer. En fait, chaque gouvernement provincial utilise un cadre financier ou périmètre comptable qui lui est propre pour calculer sa dette « officielle ». La diversité des cadres financiers donne lieu à des manipulations comptables plus ou moins douteuses de la part des gouvernements, rendant difficile tout effort d’analyse rigoureuse et transparente. Une situation que le vérificateur général du Québec décrie depuis plusieurs années.

La « dette totale du gouvernement » du Québec, telle que calculée par le ministère des Finances dans son Plan budgétaire 2007-2008, rendu public en février 2007, comprend les dettes directes et le passif net au titre des régimes de retraite des employés de l’État. Elle s’élevait à 118,3 milliards (43,2 p. 100 du PIB) au 31 mars 2006, une augmentation de 17,0p.100de1999à2006(7ans); elle atteint 122,4 milliards (préliminaire) au 31 mars 2007.

Pour obtenir la « dette à long terme du secteur public » du Québec, il faut ajouter la dette des réseaux de l’éducation et de la santé et des services sociaux (14,2 milliards en 2007), d’Hydro-Québec (32,7 milliards), des municipalités (18,9 milliards) et des autres entreprises du gouvernement (3,5 milliards). Cette mesure donnait une dette de 182,7 milliards au 31 mars 2005, de 185,6 milliards au 31 mars 2006 et de 191,7 milliards (préliminaire) au 31 mars 2007.

Pour obtenir un meilleur portrait de l’acuité du problème de la dette, il faudrait ajouter plusieurs autres éléments du passif du gouvernement, qui ne sont pas comptabilisés dans les mesures actuelles, possiblement de manière modulaire, tel que l’a suggéré Jean-Pierre Aubry au congrès de l’Association des économistes québécois en mai dernier. Cette formulation donnerait l’heure juste et éviterait bien des conflits. Ensuite, il faudrait soustraire de cette dette brute non seulement la valeur des actifs financiers mais aussi la valeur des actifs immobiliers, cette dernière étant de toute évidence considérable si on pense à l’ensemble des infrastructures et équipements publics qui supportent la dette gouvernementale, publique ou sociale.

À défaut de pouvoir compter sur une valeur marchande (impossible ou très difficile à obtenir dans bien des cas vu l’absence quasi générale de marchés pour plusieurs de ces équipements et infrastructures), on pourrait utiliser la valeur aux livres (valeur non encore amortie, selon les règles comptables généralement reconnues). Par exemple, la valeur marchande des immobilisations (actifs corporels) d’Hydro-Québec est très largement supérieure à leur valeur aux livres : de 50,4 milliards en 2005 et de 51,8 milliards en 2006 ; certains l’évaluent entre 100 et 150 milliards. Plusieurs autres actifs immobiliers du gouvernement et de ses organismes devraient également être comptabilisés et soustraits de la dette brute.

Malheureusement, on ne dispose pas encore d’un cadre suffisamment détaillé et crédible du passif et des actifs « gouvernementaux » ou « publics » pour procéder à une analyse comparative rigoureuse de la situation relative des gouvernements provinciaux (et de leurs organismes affiliés). Il faut espérer que les divers gouvernements en viendront à définir un tel cadre et ce, pour favoriser la transparence et mettre fin aux manipulations comptables aussi habituelles qu’affligeantes.

On peut affirmer cependant qu’il n’est pas évident que le Québec ait un sérieux problème de dette publique.

On peut affirmer cependant qu’il n’est pas évident que le Québec ait un sérieux problème de dette publique. On pourrait certes préférer que la dette soit encore plus faible, mais le niveau actuel de cette dette reste fort probablement bien raisonnable par rapport à la valeur des actifs financiers et immobiliers qui la supportent : la valeur de la maison québécoise est de toute évidence très largement supérieure au montant de l’hypothèque ! En fait, c’est au niveau des mécanismes de choix d’immobilisations ou d’investissements, qui conditionnent l’évolution de la dette, que le bât blesse davantage.

Comment combler les écarts de sous-performance relative et placer le Québec dans le peloton de tête des économies régionales en Amérique du Nord ? Il faut réaffirmer d’abord et avant tout qu’il n’y a aucune raison de croire que les Québécois diffèrent des autres Nord-Américains dans leur désir individuel et collectif de bonifier leur niveau de vie et celui de leurs enfants et dans leur capacité d’y arriver. Mais plusieurs défis devront être relevés. Nous sommes d’une certaine manière condamnés à être plus efficaces et plus innovateurs que nos principaux concurrents, en particulier dans les vingt prochaines années durant lesquelles il faudra renverser la tendance actuelle.

Avant de présenter les cinq grands programmes qui sont les principes sous-jacents à cette nouvelle « socialdémocratie concurrentielle » (SDC), véritable colonne vertébrale de la nouvelle révolution tranquille, il faut réaffirmer que l’objectif premier et ultime de la SDC est l’amélioration optimisée dans le temps et dans l’espace du bien-être des individus.

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Pour atteindre cet objectif, il faut redonner aux individus des incitations au travail et redonner aux entreprises la volonté et le pouvoir de créer des emplois, en augmentant la rentabilité personnelle, entrepreneuriale et sociale de ces emplois. Le but est ici d’éviter les pertes de croissance et de richesse qu’entraîne inéluctablement un taux d’emploi trop faible, résultant d’un calcul qui amène trop d’individus à conclure qu’il est préférable et plus payant de ne pas travailler, et qui incite trop d’entreprises à sous-investir et à s’abstenir ainsi de créer des emplois de qualité, bien adaptés à l’énorme potentiel socioéconomique du Québec.

Un premier programme SDC devra viser le développement et le maintien de compétences clés bien définies dans le secteur public et dans le secteur concurrentiel.

Il faut ainsi recentrer le rôle des gouvernements et des administrations publiques sur trois volets : identifier les besoins des citoyens en biens et services publics et sociaux, tant en qualité qu’en quantité ; faire les arbitrages nécessaires, et gérer les contrats et partenariats public-privé ou public-concurrentiel de production et de distribution de ces biens et services publics et sociaux au meilleur coût possible. La réalisation de ce programme exigera une réduction de l’envergure actuelle de plusieurs institutions publiques, en particulier dans la production et la distribution des biens et services publics et sociaux, voire un véritable démantèlement de l’appareil fonctionnarisé. Cela doit se faire et peut se faire dans le respect des personnes en favorisant, de manière incitative, l’adaptation et le redéploiement des ressources humaines et matérielles concernées.

D’autre part, l’entrepreneuriat public et concurrentiel est une ressource trop importante pour l’avenir de la social-démocratie pour que l’on se mette à la gaspiller en confondant les rôles.

D’autre part, l’entrepreneuriat public et concurrentiel est une ressource trop importante pour l’avenir de la social-démocratie pour que l’on se mette à la gaspiller en confondant les rôles. On peut, à titre d’exemple, mentionner les entreprises publiques dans les domaines de la santé et de la finance. S’il est du ressort des autorités politiques de définir des paniers de biens et services de santé et de les proposer à la population par l’intermédiaire de la concurrence électorale, il ne s’ensuit pas qu’il soit du ressort de ces autorités de produire et distribuer ces biens et services directement par des organisations fonctionnarisées du secteur public. De manière générale, il sera beaucoup plus efficace de faire produire ces paniers de biens et services par le secteur concurrentiel grâce à des mécanismes eux-mêmes concurrentiels, ouverts, transparents, et incitant la performance et à l’expérimentation créatrice.

Il faut, grâce à un deuxième programme SDC, favoriser la formation, la libéralisation, la dissémination et la compréhension des informations, développements et rouages économiques ; favoriser le recours systématique aux mécanismes concurrentiels non seulement dans les sphères traditionnelles des secteurs non gouvernementaux, mais aussi dans toutes les sphères possibles des secteurs public et parapublic ; et enfin, il faut s’abstenir de manipuler indûment et au nom, trop souvent, d’un paternalisme primaire non avoué les signaux de rareté ou valeur relative que sont les prix concurrentiels des biens et services tant publics (éducation, santé) que privés (électricité, produits agricoles, eau).

Cela permettra d’éviter les gaspillages de ressources, ou la production de trop de ressources dans certains secteurs et pas suffisamment dans d’autres. Cela permettra également de favoriser l’émergence de solutions innovantes aux problèmes et défis qui se posent dans tous les secteurs, la transparence dans l’évaluation financière et économique des subventions aux entreprises, et le développement et la mise en pratique d’un droit à la contestation économique qui donnera à tous les citoyens la possibilité de contester et, le cas échéant, de remplacer les producteurs et distributeurs actuels des biens et services publics et sociaux.

On devrait, en troisième lieu, favoriser la prise en charge par chaque individu du développement et du maintien de son portefeuille de compétences.

Pour ce faire, il faut développer les outils et les instruments de gestion de risques face aux changements inéluctables dans l’environnement économique des individus (fermeture d’usine, déplacement des emplois, création de nouveaux emplois et de nouvelles opportunités, délocalisation, etc.). Pareillement, il faut impliquer de manière crédible les entreprises et les organisations privées et publiques dans les programmes de formation des compétences aux niveaux collégial et universitaire en favorisant la formation en entreprise des compétences techniques, en exigeant d’elles des analyses rigoureuses et crédibles de leurs besoins futurs, en favorisant le travail supervisé (stages) durant les études.

Il faut aussi revoir de fond en comble les mécanismes actuels de financement public et privé des institutions d’enseignement (écoles, collèges et universités) pour les soumettre à des mécanismes incitatifs puissants et crédibles, mettant l’accent sur l’efficacité et la compétence avec lesquelles elles s’acquittent de leur mission de produire et de former une relève scientifique et professionnelle qualifiée. Finalement, il faut accueillir un plus grand nombre d’immigrants et accélérer leur insertion économique et social ” non seulement dans le tissu social québécois mais aussi dans leurs domaines respectifs de compétence.

Un quatrième programme SDC devra s’attaquer à la structure fiscale. On devrait notamment diminuer les taux marginaux implicites de taxation lorsque des chômeurs ou des assistés sociaux réussissent à dénicher des emplois à temps plein ou à temps partiel ; diminuer les taux marginaux de taxation des hauts salariés, pour rentabiliser davantage l’emploi et l’acquisition de compétences ; réduire les taux d’imposition sur le revenu et leur complexité (déductions, nombre de paliers) en englobant tous les revenus dans la base d’imposition et en imposant un taux minimum applicable sur le revenu global afin de favoriser l’inclusion sociale ; remplacer graduellement, si nécessaire, ces sources d’impôts par des taxes à la consommation ; et combattre le maintien des personnes à faible revenu dans un état quasi permanent de dépendance en substituant aux manipulations plus ou moins paternalistes des prix un programme de redistribution directe des revenus fortement incitatif à l’autonomie des personnes.

En dernier lieu, il faut mettre sur pied des processus et méthodes d’évaluation rigoureuse, transparente, indépendante et crédible des programmes et politiques publics.

La difficulté de l’évaluation des programmes et politiques ne doit pas être sous-estimée. Il peut s’avérer nécessaire de créer à cet effet un organisme indépendant responsable de veiller au développement de ces méthodes d’évaluation. On doit malheureusement constater que, dans la très grande majorité des cas, les évaluations courantes des divers programmes et politiques sont superficielles et sans fondements analytiques sérieux et ne résisteraient pas à une analyse économique quelque peu rigoureuse. Ces évaluations courantes ont souvent pour but d’apporter une caution « morale » à des interventions mal conçues et mal orientées des pouvoirs publics.

C’est donc une véritable nouvelle révolution tranquille que représente pour le Québec la nouvelle social-démocratie concurrentielle par rapport à la social-démocratie traditionnelle, devenue au fil des ans tributaire d’une pensée et d’un discours politiques et d’un modèle social usé, vieilli et dépassé. Les sociétés où l’esprit original de la social-démocratie demeure vivant ne peuvent plus se satisfaire des demi-vérités et de la langue de bois dont on les afflige trop souvent sous le couvert de grands et nobles sentiments. Elles doivent faire face, sans se leurrer, à la nouvelle réalité, au nouveau monde actuel et aux années exigeantes qui s’annoncent. Atermoiements et palabres au sommet ne rejouant que les mêmes rengaines usées, dépassées et non crédibles ou n’apportant que des palliatifs de court terme, inefficaces et coûteux (sauf pour les groupes de pression qui les défendent et en profitent aux dépens de l’ensemble des citoyens), ne feraient qu’empirer la situation et reporter à plus tard des décisions qui deviendront encore plus douloureuses parce qu’imposées plutôt que choisies..

La poursuite d’un idéal social-démocrate au Québec passe par la définition d’objectifs ambitieux, mesurables et réalisables et par une remise en question courageuse de ses institutions.

La poursuite d’un idéal social-démocrate au Québec passe par la définition d’objectifs ambitieux, mesurables et réalisables et par une remise en question courageuse de ses institutions. Au niveau des objectifs, on pourrait entre autres viser à :

  • atteindre, d’ici 15 ans, le niveau moyen de PIB par habitant au Canada. En supposant que le PIB par habitant du ROC croîtra au taux observé en 2006, soit1,7 p. 100 pour les 15 prochaines années, il faudra que le PIB par habitant du Québec augmente à un taux de 2,9 p. 100 par an ;
  • sortir, d’ici sept ans, du groupe des provinces récipiendaires de paiements de péréquation ;
  • atteindre, d’ici cinq ans, le taux d’emploi moyen au Canada ; rappelons qu’en 2006 ces taux étaient de 60,2 p. 100 au Québec et de 63,0 p. 100 au Canada. Pour y arriver, il faudrait créer quelque 200 000 emplois de plus que dans la situation alternative, soit un ajout de 40 000 emplois par an ;
  • atteindre, d’ici cinq ans, le taux moyen de prestataires d’assurance-emploi (en 2006, le taux était de 37,4 au Québec et de 22,3 au ROC).

Ces objectifs sont exigeants, mais réalisables. Pour y arriver, il faudra compter sur l’esprit reconnu de créativité, d’innovation et d’entrepreneuriat des Québécois, tant des individus que des groupes sociaux et des entreprises corporatives et autres, faire confiance à leur capacité d’adaptation et de compréhension des enjeux, et cesser de jouer aux apprentis-sorciers en voulant régler d’en haut tous les problèmes, une forme pernicieuse d’infantilisation de la population. Il faut au premier chef avoir l’intelligence et le courage de nos ambitions, l’intelligence pour imaginer et définir des moyens et processus efficaces pour atteindre nos objectifs et réaliser nos ambitions, et le courage de les mettre résolument en application.

 

 

Cet article est tiré de son rapport CIRANO, paru en mai 2007, sur la performance économique du Québec depuis un quart de siècle. Il peut être téchargé à https://www.cirano.qc.ca/pdf/ publication/2007s-12.pdf.

 

Marcel Boyer
Marcel Boyer est professeur émérite de sciences économiques de l’Université de Montréal et cofondateur du CIRANO. Spécialiste en économie industrielle, en évaluation d’investissements et en droits d’auteur, il est l’auteur du Manifeste pour une social-démocratie concurrentielle (CIRANO, 2009).

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