Merci de m’offrir cette tribune et de reconnaître ma contribution à l’enclenchement de négociations entre le Canada et l’Union européenne en vue de la conclusion de ce qui est désormais connu comme l’Accord de partenariat économique et commercial global.

Ce futur accord a d’ailleurs déjà son acronyme. On dit le CETA, tiré de son nom anglais : le Comprehensive Economic and Trade Agreement.

Ce projet est maintenant bien lancé. Ce n’est plus désormais qu’une question de temps avant que l’Europe et le Canada partagent un espace commun.

Un espace qui fera gonfler les échanges commerciaux et qui multipliera les domaines de coopération pour le bénéfice de nos citoyens et de nos entreprises.

Aujourd’hui, je veux vous dire :

  • pourquoi je me suis investi dans ce projet ;
  • quelle sera la portée de l’accord ;
  • comment se déroulent les négociations ; et
  • quels seront les bénéfices que nous pourrons en tirer.

Je me suis investi dans la promotion de cet accord pour trois raisons. La première raison est personnelle. C’est une conviction qui est à la source de mon engagement politique : le monde ne se construit pas avec des barrières et des frontières ; il se construit avec des ponts et des alliances.

La deuxième raison est conjoncturelle. C’était le temps de le faire. Vingt ans après le libre-échange Canada-États-Unis, qui a fait exploser l’axe commercial Nord-Sud, ce corridor, toujours vital, se resserre :

  • parce que depuis septembre 2001, la frontière américaine s’est épaissie ;
  • parce les pays émergents nous bousculent dans ce marché traditionnel ; depuis 2007, par exemple, le Canada a été devancé par la Chine comme premier exportateur aux États-Unis ;
  • et parce que le dollar canadien est fort, et on peut penser qu’il le restera, notamment à cause des réserves de pétrole abondantes du Canada.

En d’autres mots, tout en nourrissant notre relation cruciale avec les États-Unis, il faut aussi savoir regarder ailleurs qu’au Sud pour assurer notre développement.

Et la troisième raison est culturelle. L’impulsion pour un rapprochement entre le Canada et l’Europe ne pouvait venir que du Québec, parce que le Québec est le trait d’union naturel entre l’Europe et l’Amérique. Nul autre pouvait, mieux que le Québec, faire valoir les bénéfices d’une telle entente d’un côté et de l’autre de l’Atlantique.

Cette affirmation touche par ailleurs à une autre conviction, celle que le Québec peut jouer un rôle majeur sur la scène internationale et que son influence ne dépend pas de son statut, mais de sa stature.

Ainsi, auprès des gens d’affaires et leaders politiques de ce côté de l’Atlantique, le Québec a insisté sur le fait qu’il fallait prendre les devants et proposer la négociation d’une entente aux Européens.

De l’autre côté, l’inclination des Européens était la négociation d’un libre-échange avec les États-Unis. Le Québec a plaidé, connaissant son voisin américain, que de telles négociations seraient longues, ardues et incertaines. C’est avec le Canada qu’il fallait négocier puisque, par le Canada, les Européens pourraient avoir accès au marché américain.

Pendant deux ans, j’ai abordé cette question partout où j’ai pu le faire.

J’en ai notamment fait la promotion au sommet de Davos en 2007, à Paris, en Allemagne, en Angleterre et chez nous, entre autres auprès des mes collègues premiers ministres.

Nous avons pu compter sur l’aide de la Bavière pour en faire la promotion à madame Angela Merkel lorsqu’elle était présidente à l’Union européenne.

L’accession du président français Nicolas Sarkozy à la tête de l’Union européenne en 2008 aura été déterminante.

En octobre 2008, lors du sommet Canada-Union européenne tenu à Québec, un pas important aura été franchi. Le cadre d’un éventuel partenariat économique a alors été défini.

À la fin d’avril 2009, la Commission européenne a obtenu le feu vert du Conseil européen pour entamer des négociations.

Et le 6 mai dernier, à Prague, lors du sommet annuel entre le Canada et l’Union européenne, les négociations formelles ont été lancées. Le train a donc quitté la gare.

For Canada, this is the biggest bilateral agreement to be put on the table since the Free Trade Agreement with the United States. For the European Union, this is the first time it has ever negotiated a free trade agreement with a first world country. It is thus an initiative of paramount importance, both from a diplomatic and economic perspective. It extends a new bridge across the Atlantic and offers a new vision of the world and intercontinental cooperation.

Mais quel est le projet sur la table et quelle en sera sa portée?
Le mandat de la Commission européenne porte sur la conclusion d’un « accord de libre-échange économique et commercial ». Dans les faits, il s’agit d’un libre-échange à plus grande portée.

L’accord abordera les sujets traditionnels comme l’élimination des tarifs et des obstacles au commerce. Mais il ira plus loin avec des chapitres consacrés à la mobilité de la main-d’œuvre, l’ouverture des marchés publics des provinces et des municipalités et un ambitieux volet « coopération » dans des domaines tels l’environnement, la culture et la recherche.

L’accord sera majeur et il faut le voir dans la perspective d’un rééquilibrage du monde.

Face à l’émergence de l’Asie et de l’Amérique du Sud, l’alliance Europe-Amérique du Nord par ce pont avec le Canada crée un nouveau pôle entre des pays qui ont en commun des valeurs et des racines.

C’est un accord qui participera à la définition d’un monde nouveau.

Le déroulement des négociations sera un enjeu important.

Il y aura cinq sessions de négociations d’ici l’automne 2010.

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Le gouvernement fédéral et les provinces se rencontrent périodiquement pour élaborer conjointement les offres canadiennes et évaluer les propositions européennes.

Le négociateur canadien est monsieur Steve Verheul, un homme de grande expérience, qui a été négociateur du Canada à l’OMC sur les questions agricoles au cours des 10 dernières années.

Le Québec a nommé l’ancien premier ministre Pierre Marc Johnson, qui a une feuille de route impressionnante dans le domaine des relations internationales, notamment par son implication dans le dossier du bois d’œuvre et sa participation à des forums internationaux sur l’enjeu environnemental.

À travers ces négociations, des consultations se tiendront, notamment avec des chefs d’entreprise et des groupes intéressés, pour préciser les entraves au commerce et délimiter les domaines de coopération.

These negotiations have set a major precedent. For the first time ever, Quebec is a member of the Canadian delegation and is negotiating directly on matters under its constitutional jurisdiction.

This full-fledged negotiating status for Quebec calls for the following:

  • Quebec’s direct involvement in the negotiations as a member of the Canadian delegation;
  • attendance by Quebec’s team at negotiating sessions dealing with matters under its exclusive or shared jurisdiction; and
  • systematic consultation of Quebec on issues under federal jurisdiction.

Ainsi, le Québec négocie au nom des Québécois sur les questions relatives aux services, à la mobilité de la main-d’œuvre, aux investissements, aux marchés publics, et aux sociétés d’État.

Ce précédent devra devenir une habitude. Le Canada ne doit pas négocier seul des traités dont la mise en œuvre engage la compétence du Québec. Pour moi, la chose se résume simplement : ce qui est de compétence québécoise chez nous est de compétence québécoise partout.

J’en viens aux retombées que nous pouvons en tirer.

Les échanges avec l’Union européenne sont en croissance. Ils ont augmenté de 60 p. 100 au cours des cinq dernières années.

La négociation s’inscrit donc dans un terreau déjà fertile. Pour le Québec, les exportations européennes représentent 18 p. 100 de nos exportations vers les États-Unis. C’est donc dire que, bien qu’elles soient croissantes, on peut faire beaucoup mieux.

On peut faire mieux en levant les barrières. En 2008, les entreprises québécoises ayant exporté pour plus d’un demi-million de dollars en Europe ont payé des droits de douane de 164 millions de dollars.

La levée des barrières ne fera que des gagnants.

Une étude conjointe réalisée par le Canada et l’Union européenne prévoit des retombées économiques substantielles des deux côtés.

Du côté canadien, on prévoit une hausse de 0,77 p. 100 du produit intérieur brut, représentant près de 14 milliards de dollars, dont le quart, voire le tiers, irait au Québec. De plus, la hausse des exportations vers l’Union européenne serait de plus de 20 p. 100.!

Du côté européen, les impacts seraient une hausse de 0,08 p. 100 du produit intérieur brut, représentant plus de 19 milliards de dollars et une hausse des exportations vers le Canada de plus de 24 p. 100.

Ça veut dire de bons emplois de part et d’autre de l’océan, des investissements accrus et des citoyens qui vivent mieux. Si je me suis investi dans ce projet, c’est parce que j’avais la conviction profonde que le Québec en bénéficierait.

Le Québec est déjà la première destination canadienne des investissements européens et le principal exportateur canadien en Europe.

Le Québec est le citoyen nordaméricain le plus près de l’Europe, tant par sa géographie, sa culture que son histoire. Pour le Québec, le libre échange Canada-Europe consiste à mettre à profit l’espace commun canadien pour répandre le savoir-faire québécois en Europe.

Pour le Québec, les bienfaits seront multiples :

  • augmentation de nos exportations par l’abolition des barrières tarifaires ;
  • accès plus facile au marché européen pour nos entreprises par la simplification des règles juridiques ;
  • augmentation des investissements européens au Québec ;
  • création d’emplois ;
  • intégration de nouvelles technologies ;
  • recrutement de travailleurs qualifiés ;
  • renforcement majeur de la coopération Québec-Europe, notamment dans les domaines des sciences et technologies, de l’enseignement supérieur et de la culture.

C’est un projet né grâce au Québec. Et c’est en bonne partie un projet pour le Québec. Ce corridor Canada-Europe est au cœur d’une vaste initiative de repositionnement stratégique du Québec que j’ai amorcée il y a deux ans.

Ce projet consiste à doter le Québec d’un nouvel espace économique pour qu’il puisse relever ses défis et prospérer dans un monde en changement.

Outre ce partenariat Canada-Europe, le nouvel espace économique comprend cinq autres volets :

  1. Une entente sans égale entre deux continents sur la mobilité des travailleurs entre la France et le Québec.
  2. La pleine mobilité de la main-d’œuvre à travers le Canada.
  3. Une alliance économique avec notre voisin l’Ontario pour faire naître la quatrième puissance économique d’Amérique du Nord.
  4. L’accélération de la reconnaissance des professionnels formés hors Québec.
  5. Et le développement du Nord québécois, notamment de son potentiel énergétique, pour faire du Québec une puissance mondiale des énergies renouvelables.

Le partenariat Canada-Europe s’inscrit donc dans une vision globale de mon gouvernement pour renforcer le Québec et en faire une société plus prospère et représentative d’un monde nouveau, tourné vers la coopération et le développement durable.

Cette vision globale, c’est aussi une offensive identitaire.

Nous représentons moins de 3 p. 100 de la population de l’Amérique du Nord. Et pour moi, la meilleure façon de protéger et promouvoir notre langue et notre culture, c’est de placer le Québec aux premières loges d’un monde nouveau.

Photo: Shutterstock

Jean Charest
Jean Charest was the 29th premier of Quebec, from 2003 to 2012.

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