À l’aube de l’ouverture des Jeux de Vancouver, un vent de fébrilité anime les acteurs de la scène canadienne du sport. D’abord, la politique canadienne du sport adoptée en grande pompe en 2002 et dont les objectifs ont été enchâssés dans la Loi sur l’activité physique et le sport, sanctionnée en 2003, est en quelque sorte proche de la fin de sa vie utile qu’on avait située initialement à 10 ans.

L’heure des bilans est donc arrivée, et le gouvernement conservateur se prépare à imprimer sa marque sur cette politique mise en place par les libéraux, voire à la réécrire au complet. Les grands objectifs de la politique ont-ils été atteints? Le Canada a-t-il fait des progrès en ce qui a trait aux objectifs d’accroître la pratique du sport et d’appuyer la poursuite de l’excellence, de développer le potentiel du système sportif canadien, tel que stipulé dans l’article 2 de la Loi?

Un exercice certes nécessaire, mais combien semé d’embûches, et au cours duquel les débats seront invariablement influencés par un événement phare, les Olympiques d’hiver de Vancouver, qui canalisent les efforts du système sportif canadien depuis la fondation du Comité d’organisation en 2003 et ont donné lieu à des investissements de fonds publics sans précédent, ainsi qu’à des promesses de performances canadiennes et de retombées sportives et sociales inégalées.

Que nous réservent ces Jeux? Les médailles seront-elles au rendez-vous? Quel sera leur impact réel sur les athlètes canadiens, sur le sport communautaire et la participation des jeunes au sport, sur le prestige international du Canada et sur l’unité canadienne? Autant de questions dont les réponses, une fois les Jeux terminés, orienteront sans doute la politique canadienne du sport amateur de la prochaine décennie.

En préparation aux Jeux de Vancouver, le milieu sportif, appuyé par le gouvernement fédéral, par celui de la Colombie-Britannique et par les autorités locales des villes où auront lieu les compétitions, a consacré des sommes mirobolantes aux Jeux afin d’assurer leur succès. En effet, selon des chiffres avancés par le cabinet du ministre Lunn, le gouvernement fédéral aurait injecté plus de 1,2 milliards de dollars, alors que le gouvernement de la Colombie-Britannique y aurait contribué au bas mot 600 millions de dollars. C’est sans compter la contribution de Vancouver pour financer des Jeux que le Vancouver Sun du 23 janvier 2009 estimait déjà à un coût total approximatif de 6 milliards de dollars toutes dépenses confondues, incluant l’autoroute Sea to Sky. À ceci, il faudra ajouter les manques à gagner pour les retards sinon les défauts de paiement des prêts pour les condominiums invendus du village olympique, une facture qui pourrait s’avérer salée. Certes, les firmes de consultants font déjà miroiter des retombées économiques positives pour l’économie locale, en termes d’emplois, de nouvelles entreprises créées, etc. Mais quel sera le bilan réel une fois toutes les factures payées?

Vancouver doit relever d’autres défis de différents ordres. Il y a d’abord celui du bilinguisme, qui retient toujours l’attention du commissaire aux langues officielles. Un défaut de répondre adéquatement à cette exigence linguistique pourrait s’avérer dommageable pour l’unité canadienne, que l’on cherche précisément à mousser dans le cadre de ces Jeux.

En Australie, comme au Canada, le constat est le même. Les investissements dans le sport de haute performance se sont faits de plus en plus importants de telle sorte que le coût des médailles suit une courbe ascendante, alors que les statistiques de participation populaire dans les sports démontrent un déclin et que les budgets qui sont dévolus aux sports ne sont pas au rendez-vous.

Il y a aussi celui de la participation aux Jeux des Premières Nations et des retombées pour elles, notamment pour celles qui accueilleront les compétitions sur leurs terres. Si Action 21 promettait une inclusion significative des Autochtones à tous les niveaux des Jeux, force est de constater que ces retombées, notamment pour les jeunes autochtones, risquent finalement d’être modestes, ce que des chercheurs comme la professeure Janice Forsyth ont montré.

Mais le plus grand défi des Jeux de Vancouver repose sur les épaules des athlètes, et dans une moindre mesure sur celles de leurs entraîneurs. En mettant sur pied le programme À nous le podium, doté d’un budget de 110 millions de dollars et dont la moitié est financée par le gouvernement fédéral, le Canada s’est donné comme objectif de terminer premier aux Jeux olympiques en gagnant le plus grand nombre de médailles, et parmi les trois premiers aux Jeux paralympiques. Les fonds sont attribués en fonction des disciplines dans lesquelles les athlètes canadiens sont le plus susceptible de remporter des médailles, s’inspirant ainsi du modèle australien. En effet, rompant avec sa tradition d’allouer des fonds comparables à toutes les disciplines des Jeux olympiques, le Canada a fait le pari de la concentration des ressources en vue de la maximisation des médailles. Mais est-ce un objectif réaliste? Quelle pression s’exercera sur nos athlètes pour qu’ils livrent la marchandise? Quels seront les impacts en cas d’échec?

En cas de réussite, les occasions seront nombreuses pour les hommes et les femmes politiques de se faire voir auprès des athlètes et de célébrer la fierté d’être Canadiens. Dans le cas contraire, la presse sportive sera rapide à conclure que nous ne sommes pas une nation de gagnants, et la classe politique prendra ses distances par rapport au sport. Mais pour quelle raison précise le milieu sportif canadien s’estil doté d’un objectif si ambitieux?

Pour ceux et celles qui font miroiter l’effet d’entraînement que les performances des athlètes de haut niveau auraient sur la participation de masse, le controversé rapport Crawford, rendu public tout récemment, représente toute une douche froide, non seulement par ses constats brutaux et parfois étonnants, mais aussi du simple fait qu’il porte sur l’Australie. Or c’est précisément ce pays que le Canada cherche à émuler, un pays qui jusqu’ici a misé gros sur la quête de médailles olympiques, qui y a gagné gros, et qui remet maintenant tout en question.

Le rapport du panel australien s’attarde, entre autres, sur le prix que coûte chaque médaille olympique et remet en question le financement prioritaire des seules disciplines olympiques au détriment parfois de sports que les Australiens pratiquent et valorisent plus.

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On y affirme n’avoir trouvé aucune évidence que le spectacle de grandes performances sportives comme les Jeux olympiques se traduise par quelque effet positif que ce soit sur la participation populaire, et on invite les Australiens à mesurer différemment les performances nationales. Certes, le rapport ne remet pas en question les investissements publics importants dans le sport de haute performance, mais il insiste sur le fait que si de nouveaux fonds devaient être dévolus, ceux-ci devraient être consacrés à repousser les barrières qui nuisent à la pratique du sport et de l’activité physique au niveau communautaire et à améliorer la condition physique des Australiens.

Quel que soit le succès ou l’insuccès des Jeux de Vancouver, ce rapport offre, malgré ses imperfections, un ensemble de pistes que les autorités publiques canadiennes voudront examiner. Ils devraient inspirer les réflexions du panel « 2010 et au-delà » mis sur pied par le ministre Lunn et qui a précisément pour mandat de tabler sur les succès déjà engrangés et sur ceux qu’on attend des Jeux de Vancouver pour aller de l’avant dans la même direction.

En Australie, comme au Canada, le constat est le même. Les investissements dans le sport de haute performance se sont faits de plus en plus importants de telle sorte que le coût des médailles suit une courbe ascendante, alors que les statistiques de participation populaire dans les sports démontrent un déclin et que les budgets qui sont dévolus aux sports ne sont pas au rendez-vous. Certes, les données d’une collecte à une autre ne sont pas toujours totalement compatibles et on ne mesure souvent que les sports qui sont aux programmes des Jeux olympiques, mais les tendances restent les mêmes.

L’augmentation de la participation est pourtant un des piliers de la politique canadienne du sport, mais les fonds reliés à cet objectif restent le parent pauvre du budget de Sport Canada. Plusieurs raisons expliquent la timidité des actions du fédéral dans ce dossier.

D’abord et avant tout, ce volet de la politique canadienne du sport est au cœur d’un imbroglio constitutionnel et administratif qui empêche toute action conséquente de la part du fédéral. La participation sportive est associée au loisir, une juridiction relevant des provinces et des territoires. Il en est de même pour la promotion de l’activité physique associée à la santé. Par ailleurs, Sport Canada, dont le mandat ne couvrait jusqu’en 2002 que le volet du sport de haute performance, relève du ministère du Patrimoine canadien, alors que le dossier de la promotion de l’activité physique relève de l’Agence de la santé publique du Canada et donc en bout de ligne du ministre de la Santé.

Dans la foulée de l’adoption de la loi de 2003, le gouvernement fédéral a multiplié les ententes bilatérales avec les provinces et les territoires, tantôt dans le dossier de la participation sportive, tantôt dans le dossier de la promotion de l’activité physique, deux dossiers séparés au fédéral mais relevant du même ministère dans les provinces. Par ailleurs, par son programme de contribution aux organismes nationaux de sport, Sport Canada verse à ceux-ci des subsides modestes pour des initiatives visant à mousser la participation ou l’initiation à leur discipline.

Dans ce contexte, le constat est patent. Le gouvernement fédéral doit d’abord mettre fin à la division artificielle entre la participation sportive et l’activité physique et mettre de l’ordre dans sa propre maison. Les chefs de file du milieu sportif canadien regroupés dans le collectif « Le sport est important » réclament d’ailleurs une complète remise à neuf de la gouvernance et du système sportif canadien. Selon l’image évoquée par Ian Bird, une des voix fortes de ce groupe, « le Canada opère un logiciel sportif du XXIe siècle sur un ordinateur des années 1960 » !

Mais quel modèle de gouvernance faudrait-il adopter? Un ministère du sport et de l’activité physique? Une nouvelle agence publique du sport et de l’activité physique? On ne saurait décider de cette question qu’après s’être entendu sur une vision du sport et de l’activité physique, en étroite collaboration avec les provinces et les territoires.

Cette vision devra laisser une place importante au sport de haute performance, de manière à permettre aux athlètes canadiens d’exceller à tous les niveaux selon des objectifs réalistes, mais aussi et surtout, cette vision devra laisser une grande place au plus important, la participation. Car sans elle, le sport ne saurait être un facteur d’amélioration de la santé de la population. Et sans elle, il y aura toujours un faible bassin d’où recruter les athlètes de haute performance de demain.

Photo: Shutterstock

JH
Jean Harvey est professeur titulaire à l’École des sciences de l’activité physique de l’Université d’Ottawa et directeur du Centre de recherche sur le sport dans la société canadienne.

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