Près de deux mois après le terrible séisme qui a frappé Haïti en janvier dernier, l’action humanitaire continue de se mettre péniblement en place. Alors que le Canada entame le retrait graduel de ses troupes déployées dans le cadre de l’aide humanitaire d’urgence, les esprits — ceux des donateurs en tout cas — sont déjà tournés vers la planification de la reconstruction. Fort de son implication croissante dans ce pays, le Canada a clairement fait entendre qu’il comptait jouer un rôle de premier plan dans le long processus qui s’amorce. Reste à savoir lequel. Et la tâche n’a rien d’aisé. En coulisses, la diplomatie canadienne s’active, et les consultations vont bon train au sein des ministères et avec les partenaires pour tenter de définir les contours de sa future stratégie d’action pangouvernementale.

Si l’ampleur de la désolation causée par le séisme symbolise, aux yeux de certains, la tabula rasa dans laquelle ils croient ou espèrent voir l’aube possible d’un « nouvel » Haïti, l’image est trompeuse. Construire Haïti? L’ambition est proclamée après chaque catastrophe naturelle ou humaine dans ce pays, apportant chaque fois avec elle son lot de « nouvelles » mesures. L’ignorer reviendrait à oublier qu’un processus de reconstruction était déjà à l’œuvre avant le séisme et à entretenir l’illusion d’une recette miracle qui n’existe pas.

Malgré l’ampleur du choc du 12 janvier, la vie quotidienne commence déjà à reprendre ses droits en Haïti. Et la question se pose de savoir comment transformer la crise en une occasion à saisir pour le développement du pays. Pour y arriver, la reconstruction devra privilégier une certaine continuité, dans les discours et les pratiques, et s’accommoder de l’héritage du passé récent. Or, en la matière, le bilan est mitigé. Les leçons apprises invitent assurément à une certaine humilité. Les premiers résultats de l’action internationale depuis 2004 sont assez maigres au regard des efforts investis. En 2009, le Conseil de sécurité admettait que la situation demeurait critique sur le plan socioéconomique pour la majeure partie de la population haïtienne.

Malgré ce constat douloureux, les dernières années ont aussi apporté leur lot de signes encourageants. Ainsi, avant les ouragans de 2008 et le récent séisme, on notait certains progrès dans le renforcement de la sécurité, le respect des droits de l’homme et le dialogue politique. Robert Zoellick, le président du Groupe de la Banque mondiale, soulignait récemment une amélioration dans la perception des recettes et un accroissement des investissements. Rappelons-nous qu’au regard de l’histoire haïtienne, la période post-2004 est encore courte. Pour la première fois, la communauté internationale avait consenti alors à s’engager dans la durée en Haïti. Elle semble d’ailleurs avoir tiré certains enseignements, au moins théoriques, de ses échecs répétés dans ce pays. La déclaration issue de la Conférence préparatoire ministérielle de janvier 2010 à Montréal, qui énonce les principes devant guider l’action des autorités haïtiennes et de la communauté internationale dans la reconstruction d’Haïti (souveraineté de l’État haïtien, engagement durable, coordination de l’appui international, rôle de la diaspora, revitalisation du secteur privé, etc.), est emblématique à cet égard.

Ce ne sont donc pas ces principes qu’il faut changer, mais bien la manière de les appliquer. Dans ce contexte ambivalent, les responsables canadiens auront à définir une stratégie d’action qui tienne compte de ces leçons apprises et prenne soin d’améliorer les pratiques.

Dans un premier temps, pour le Canada comme pour l’ensemble de la communauté internationale, il fallait d’abord se montrer à la hauteur de la crise humanitaire. Pour qui conserve en mémoire les atermoiements du Canada à la suite du tsunami de 2004 en Asie ou l’évacuation épique des ressortissants canadiens du Liban en 2006, la tâche semblait loin d’être évidente. Or la réponse a été, cette fois, d’une toute autre teneur.

Coordonnée à partir du Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction, créé en 2005 entre autres pour palier aux ratées lors des crises précédentes, la réaction du gouvernement canadien ne s’est pas fait attendre. Elle s’est traduite notamment par la mise sur pied de la Force opérationnelle interarmées en Haïti (FOIH) et de l’opération Hestia, avec le déploiement de 2 000 membres des Forces canadiennes, dont l’Équipe d’intervention en cas de catastrophe (mieux connue sous son acronyme anglais DART). Outre les tâches humanitaires habituelles (sécurisation de l’aide, déblaiement, distribution d’eau et de nourriture, construction d’abris, services médicaux, etc.), la FOIH avait pour mandat de remettre sur pied l’aéroport de Jacmel afin d’assurer les opérations aériennes et d’établir un hôpital de campagne à Léogâne.

Les perspectives ouvertes par le chantier de la reconstruction constituent pour le Canada, fort de cet engagement passé, une sorte de « retour sur investissements ». Si l’on excepte l’Afghanistan, pour encore quelque temps du moins, Haïti est l’un des rares dossiers internationaux où la diplomatie canadienne peut prétendre exercer un leadership réel. Alors que l’intérêt du monde pour la « perle des Antilles » n’a jamais semblé aussi grand, la capacité du Canada à agir comme mobilisateur de la communauté internationale devra constituer le premier pilier de sa stratégie en Haïti, en même temps que le garant de son influence.

Si — de l’aveu même de ceux qui y ont pris part — tout fut loin d’être parfait, force est d’admettre que le plan mis en place par le Canada a été réalisé de manière plutôt satisfaisante. L’approche pangouvernementale — engageant notamment les ministères des Affaires étrangères et de la Défense ainsi que l’ACDI — a montré, dans ce cas, qu’elle pouvait être efficace. Et les moyens utilisés, relativement nouveaux, ont aussi fait la différence. L’acquisition par la Défense en 2007 et 2008 d’avions de transport stratégique C-17 ou la création en 2004 d’une structure de l’ACDI centralisant des stocks de fournitures d’urgence ont permis le déploiement rapide et efficace des efforts canadiens.

Cruciales, ces innovations rappellent enfin l’importance du politique, à qui incombe le choix des orientations stratégiques et l’octroi des budgets qui y sont associés. Au-delà de ces investissements structurels, le Canada s’était donné, depuis plusieurs années, les moyens diplomatiques, financiers et humains de sa présence en Haïti.

«L’engagement du Canada en Haïti a été, et demeurera, un élément central de sa politique étrangère », a déclaré le ministre canadien des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, en ouverture de la Conférence de Montréal. Si le gouvernement conservateur, en proie aux critiques croissantes à la suite des allégations de torture en Afghanistan, de la prorogation de la Chambre des communes et de ses dispositions en matière de changements climatiques, a certes profité de l’occasion pour s’offrir un peu de répit sur la scène intérieure, il serait injuste de réduire son action à une entreprise de marketing politique. Il a d’abord consenti à mettre la main au portefeuille pour venir en aide à Haïti. Et, surtout, en multipliant les interventions diplomatiques, le premier ministre et son cabinet ont donné le ton et confirmé que le Canada avait l’intention de jouer un rôle dans la reconstruction d’Haïti.

Si les relations entre les deux pays remontent officiellement à plus d’un demi-siècle, avec comme fils conducteurs la présence de la communauté haïtienne au Québec et celle des organisations de développement canadiennes en Haïti, l’engagement du Canada a pris de l’ampleur avec la chute du président Aristide en 2004. Depuis lors, Ottawa a investi sur le plan tant politique que financier dans le pays.

Le Canada a d’abord œuvré, au sein des Nations Unies et à l’Organisation des États américains (OEA), pour que le dossier haïtien devienne une priorité internationale, en particulier au Conseil de sécurité. Son engagement s’est également traduit sur le plan des ressources humaines, avec du personnel civil international présent au sein de la MINUSTAH, et dans plusieurs agences gouvernementales et non gouvernementales présentes en sol haïtien. Sur le plan des ressources financières, avec une aide bilatérale annoncée de près de 555 millions de dollars pour la période 2006-2011, le Canada était, avant le séisme, le second donateur bilatéral après les États-Unis.

Les perspectives ouvertes par le chantier de la reconstruction constituent pour le Canada, fort de cet engagement passé, une sorte de « retour sur investissements ». Si l’on excepte l’Afghanistan, pour encore quelque temps du moins, Haïti est l’un des rares dossiers internationaux où la diplomatie canadienne peut prétendre exercer un leadership réel. Alors que l’intérêt du monde pour la « perle des Antilles » n’a jamais semblé aussi grand, la capacité du Canada à agir comme mobilisateur de la communauté internationale devra constituer le premier pilier de sa stratégie en Haïti, en même temps que le garant de son influence. En tant que « priorité comme voisin des Amériques », Haïti constitue aussi un élément clé du réengagement voulu par le premier ministre Harper dans cette région. Le Canada, « puissance régionale sans région », aurait-il enfin trouvé chaussure à son pied?

C’est ainsi qu’il faut comprendre la volonté manifestée par Ottawa depuis plusieurs années de privilégier et de prôner une approche hémisphérique dans la gestion de ce dossier, avec notamment l’intégration des « nouveaux » partenaires latino-américains (Brésil, Uruguay, Chili, etc.). Le gouvernement canadien devra profiter de son expérience et de sa crédibilité aux yeux de certains pays dans ce dossier, ainsi que de ses réseaux diplomatiques, pour promouvoir auprès des capitales et dans les forums multilatéraux une approche cohérente et coordonnée de la communauté internationale en Haïti.

Au-delà de cette action de plaidoyer, il lui reste à définir son rôle sur le terrain. Alors que les militaires entament leur retrait graduel, les responsables canadiens doivent maintenir le momentum et préparer la transition pour une stratégie d’action à moyen et long terme. La tâche s’annonce difficile. D’une part, parce que la reconstruction ne peut et ne doit pas se faire au détriment des efforts humanitaires. Loin d’être assurés, les besoins primaires de la population vont croissants. D’autre part, parce que la définition d’un tel plan d’action soulève d’épineuses questions.

La première concerne le cadre de coopération à privilégier avec les autorités haïtiennes. Le principe de l’appropriation nationale (souveraineté haïtienne et alignement sur les priorités fixées par le gouvernement notamment), auquel Ottawa adhère officiellement, ne souffre aucune discussion en théorie, mais sa mise en œuvre reste fort délicate.

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D’une part, la société haïtienne est pour le moins ambivalente à l’égard de l’État, largement perçu comme un instrument de répression utilisé par les élites pour s’approprier les richesses du pays. Du reste, ce manque de légitimité et cette suspicion s’appliquent autant à la présence internationale — ce que semblent oublier les tenants d’une mise sous tutelle temporaire d’Haïti. D’autre part, l’État haïtien manque depuis longtemps de ressources humaines et matérielles pour assumer les tâches qui sont ou devraient être les siennes présentement. Puisqu’il ne peut y avoir de solution en Haïti sans l’instauration d’institutions fortes, le redressement rapide de l’État haïtien et de ses capacités minimales apparaît comme une priorité absolue. Le soutien canadien à la construction d’une base administrative temporaire pour la fonction publique haïtienne est un premier pas. Au-delà, le Canada devra poursuivre ses efforts pour rétablir et renforcer l’État en général, pour réformer le secteur de la sécurité en particulier, y compris la sécurité humaine. Quoiqu’il en soit, c’est tout un mode de coopération et de gouvernance, de facto partagée, que les autorités haïtiennes et les acteurs internationaux, dont le Canada, ont à repenser et à mettre sur pied. Sans oublier d’inclure, cette fois, la société civile.

La deuxième question concerne la manière d’assurer la participation effective du peuple haïtien à la définition d’un plan d’action et de lui faire bénéficier rapidement des effets de la reconstruction.

Il n’y a pas de solution en Haïti qui ne passe par un processus de reconstruction et de développement inclusif, participatif et durable, en particulier dans ses dimensions socioéconomiques. Ottawa pourrait appuyer la convocation d’états généraux et la formation d’un « gouvernement de reconstruction » — comme le suggère la politologue Sophie Jouineau — qui rassemblerait les autorités haïtiennes, les représentants de la société civile, le secteur privé et la diaspora. Cette approche aurait l’avantage de garantir un processus de consultation ouvert et une définition large et inclusive des objectifs à moyen et long terme pour Haïti. Le Canada pourrait fournir conseils et appui technique.

Par ailleurs, il est crucial de créer rapidement des emplois pour que les Haïtiens puissent participer à la reconstruction de leur pays. Des programmes de travail rétribué en vivres ou en espèces ou des projets communautaires, dans le secteur agricole notamment, ont vu le jour. Compte tenu de son poids, Ottawa doit également soutenir des projets d’infrastructure à forte densité de main-d’œuvre, en particulier dans les domaines de la santé et de l’éducation, qui ont les faveurs de la société civile.

Troisième question : le Canada a-t-il un rôle à jouer dans la mobilisation de la diaspora haïtienne, et si oui, lequel? Un aspect délicat de cette question réside dans le débat autour de la « fuite des cerveaux » et les mesures à prendre pour arrêter l’hémorragie qui prive l’État haïtien de ses cadres. Pour des raisons évidentes, Ottawa et les autres paliers de gouvernement, tant provincial (Québec) que municipal (Montréal), pourraient être des catalyseurs privilégiés de l’action de la diaspora. On en veut pour preuve le fait que le gouvernement canadien se soit vu confier la tâche d’appuyer l’OEA dans l’organisation de l’important forum de la diaspora haïtienne, à Washington, fin mars 2010.

Toutefois, le sujet est politiquement sensible et la marge de manœuvre du gouvernement canadien assez étroite dans ce débat, que plusieurs considèrent comme « haïto-haïtien ». Ottawa l’a d’ailleurs appris à ses dépens lorsque sa proposition de relocaliser la rencontre à Montréal lui a valu des remontrances de la part de certains éléments de la diaspora haïtienne aux États-Unis. Surtout, et même si le gouvernement fédéral a finalement consenti à un assouplissement temporaire des critères d’immigration, sa rigidité initiale face aux demandes de regroupement familial et la portée réelle de ces mesures dites exceptionnelles ont suscité et continuent de causer une certaine frustration au sein de la communauté haïtienne. Quoiqu’il en soit, la question épineuse pour les autorités canadiennes est de trouver la façon de canaliser les énergies et la mobilisation de la diaspora haïtienne pour qu’elles donnent lieu à des actions efficaces sur le terrain.

Finalement, comment peut-on améliorer la coordination entre les acteurs internationaux? En dépit des efforts déployés par la communauté internationale au cours des dernières années, John Holmes, coordonnateur des Nations Unies pour l’aide humanitaire, s’est plaint récemment du manque de coordination, qui avait entravé l’efficacité de l’action internationale après le séisme. Si l’urgence peut servir d’excuse, il serait en revanche plus difficilement compréhensible que les mauvais réflexes et les querelles de drapeaux mettent à mal l’indispensable cohérence de l’action internationale dans la reconstruction.

Pour tenter de régler ce problème récurrent, il faudra faire preuve de détermination et de créativité institutionnelle. Dans cette perspective, il pourrait être intéressant qu’Ottawa étudie dans le détail la proposition de l’économiste Paul Collier de créer un nouveau fonds unique (« Fonds Haïti ») concentrant les ressources financières internationales destinées à la reconstruction. Outre l’avantage de la cohérence, un tel fonds permettrait de simplifier et de standardiser les règles de décaissement et de rapportage. Il répondrait aussi au principe de responsabilité et de transparence, « particulièrement au chapitre de la répartition et de la gestion des ressources » ainsi qu’on le notait déjà à la Conférence de Montréal.

Au-delà des réponses à ces difficiles questions, les responsables canadiens doivent aussi s’atteler à définir une méthode d’action. À Ottawa, on s’entend sur le fait que l’on devra commencer par un examen opérationnel des programmes pilotés et/ou financés au cours des dernières années en Haïti. Par la suite, plusieurs approches sont possibles, qui peuvent être élaborées simultanément ou pas.

La première option serait de poursuivre l’ensemble des activités en cours, en révisant les objectifs et la programmation de chacune d’entre elles si besoin est, en fonction du nouveau plan d’action établi par les autorités haïtiennes en collaboration avec la communauté internationale. Ce scénario présente évidemment l’avantage de la continuité et de l’expérience, ce qui est non négligeable en période de restrictions budgétaires. L’inconvénient majeur réside dans les risques d’éparpillement à moyen terme et de déphasage vis-à-vis des priorités actuelles et à venir. L’exemple type est celui de l’aide humanitaire qui se décline avec une multitude de projets, d’ampleur variable, disséminés dans des zones géographiques et des secteurs très divers. Si ce genre d’approche trouve évidemment sa justification dans l’urgence et dans une perspective de court terme, ce n’est pas le cas de la reconstruction.

L’approche sectorielle — les responsables canadiens choisissant quelques secteurs d’activité sur lesquels ils concentrent leurs efforts et leurs moyens — est une seconde option possible. Une telle approche a également l’avantage de la continuité et de l’expérience, et permet de maximiser les ressources. Dans cette perspective, le Canada devrait privilégier les domaines dans lesquels il a acquis une expertise en Haïti. Des programmes portant sur l’appui à la Police nationale haïtienne (PNH), la réforme de la justice, les services correctionnels ou la gestion des frontières ont été financés ou mis en œuvre par le Canada. L’un des problèmes est que l’essentiel des infrastructures liées à ces secteurs a été endommagé. Il faudra trouver un équilibre entre, d’un côté, leur remise sur pied et, de l’autre, la recomposition, la formation, le déploiement et l’accompagnement des ressources humaines. De plus, le Canada devra faire la démonstration que ces secteurs sont prioritaires et méritent d’être pleinement intégrés au plan d’action. Ce qui ne sera pas trop difficile au vu de la piètre réaction de la PNH ou de l’évasion spectaculaire de près de 5 000 prisonniers après le séisme, des événements qui constituent des arguments solides en faveur d’un réinvestissement dans la police et la sécurité. Finalement, s’il privilégie cette avenue, le Canada devra s’assurer — autre défi de taille — de la coordination et de l’harmonisation de l’ensemble des initiatives, des moyens et des acteurs dans ces secteurs.

Une dernière approche pourrait être géographique et s’appuyer sur la méthode utilisée dans les jours suivant le séisme, à savoir une répartition par zones géographiques des responsabilités entre les principaux acteurs déployés sur le terrain. Compte tenu du déploiement initial des Forces canadiennes à Jacmel et à Léogâne, le Canada pourrait, par exemple, se voir confier la responsabilité de cette zone dans un cadre d’action du type de l’Équipe provinciale de reconstruction (EPR) qu’il dirige à Kandahar. À la différence près que la structure de l’EPR à Jacmel aurait une composante civile dominante et un volet militaire réduit (troupe du génie, pelotons médical et logistique, etc.).

Cette approche par zone régionale faciliterait l’intégration des acteurs canadiens et permettrait de mettre à profit la méthode pangouvernementale. Elle répondrait aussi et surtout à l’indispensable effort de décentralisation politique et économique devant guider la reconstruction en Haïti. Abandonnées à leur triste sort, les régions — le « pays en dehors » — sont régulièrement devenues des sources d’instabilité (pauvreté endémique, foyers de tensions sociales et politiques, vecteurs de migrations vers Port-au-Prince). Une tendance que n’aura pas démentie la récente crise humanitaire dont la réponse s’est d’abord concentrée sur Port-au-Prince et ses alentours. Enfin, la capitale haïtienne se situant sur une faille sismique, la décentralisation serait l’occasion de repenser une partie de l’aménagement urbain de l’île. Un temps évoquée dans les couloirs des ministères, cette approche semble en perte de vitesse à Ottawa, en particulier parce qu’elle fait craindre à certains une cristallisation de la fragmentation géopolitique actuelle du pays au détriment de l’unité nationale, déjà faible, que la communauté internationale cherche à promouvoir.

Il appartient aux responsables canadiens de trancher ces questions dans les semaines à venir. Comme en atteste son refus de nommer un « champion » de la cause haïtienne, à l’instar de Clinton et Bush aux États-Unis ou de s’en faire le champion, comme Lula au Brésil, le cabinet du premier ministre entend conserver le contrôle politique de ce dossier et effectuer les arbitrages. C’est néanmoins aux fonctionnaires qu’il reviendra de proposer des scénarios. Or, si la réponse d’urgence a fait la preuve que l’approche pangouvernementale pouvait être efficace dans le cas d’une catastrophe naturelle, la définition d’un plan d’action pour la reconstruction constitue une autre paire de manches. Difficile, dans ces conditions et à ce stade, de dire ce que sera exactement le rôle, par définition évolutif, du Canada dans le long processus de reconstruction en cours.

Photo: arindambanerjee / Shutterstock

David Morin
David Morin est vice-doyen de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke, et professeur à l’École de politique appliquée. Il est aussi membre du Réseau de recherche sur les opérations de paix (ROP).

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