La génomique va sauver le monde : voilà le message dont à peu près tous les médias se font l’écho et parfois même la littérature scientifique. Ici, des articles de presse annoncent une « percée » en recherche sur les biomarqueurs génétiques de l’autisme ; là, des titres de magazines claironnent qu’on a trouvé le gène du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Et voici que dans la file d’attente à l’épicerie, vous lisez qu’on a enfin isolé le gène responsable de la dépression !

Face à des troubles aussi préoccupants, on ne peut que comprendre l’enthousiasme des parents et des responsables de la santé à l’égard du potentiel que recèlent les explications d’ordre génétique. Dans les mêmes articles vantant ces découvertes, on affirme calmement qu’une fois repérés les biomarqueurs en cause, les thérapies géniques résoudront tous nos problèmes. La médecine personnalisée à laquelle elles conduiront fera de nous tous des vainqueurs.

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Malheureusement, la réalité est beaucoup plus complexe. Même s’il est essentiel de connaître l’influence des gènes sur la croissance et le comportement, les données actuelles indiquent que ceux-ci n’ont pas une incidence aussi forte que l’on pensait en ce concerne certains troubles du développement.

Nous sommes encore bien loin du jour où l’on établira une fois pour toutes les biomarqueurs déterminants. Ainsi, il est peu probable que les thérapies géniques personnalisées se concrétisent avant plusieurs générations. Malgré tout le tapage, nos espoirs risquent d’être déçus.

Le cas de l’autisme en offre un bel exemple. S’il est exact de dire que, chez les jumeaux monozygotes, les risques d’être autiste augmentent si l’un des jumeaux l’est déjà (quoique ce ne soit pas une certitude) – et qu’il y a donc un rapport avec la génétique –, les généticiens n’ont pas réussi à repérer le grand gène responsable de l’autisme. Ils ont plutôt trouvé tout un ensemble de gènes dont chacun exerce sa modeste action dans un jeu polygénique complexe.

Pour dire vrai, même lorsque des gènes particuliers sont en cause, il est peu probable que cette connaissance aboutisse à des thérapies géniques personnalisées agissant sur plusieurs gènes à la fois. Alors, pourquoi tout l’intérêt porté à la génétique pose-t-il problème ?

La raison, c’est que l’importance accordée aux biomarqueurs et au potentiel des thérapies géniques a détourné notre attention des services et des ressources qui fonctionnent déjà – ou semblent prometteurs – pour un grand nombre d’enfants, et de la possibilité de les étendre.

Quantité d’études montrent que les sociothérapies comme l’orthophonie, la thérapie comportementale et l’ergothérapie produisent des bienfaits chez les enfants autistes. Depuis des décennies, nous accumulons des données qui confirment que les interventions destinées à enrichir l’environnement pédagogique de l’enfant, soutenues par les parents, peuvent favoriser de façon spectaculaire son développement.

Dans le cas du TDAH, il existe des preuves de plus en plus nombreuses et probantes qui attestent de l’efficacité des interventions psychologiques et sociales menées avec le soutien des familles.

Nous ne cherchons pas à insinuer ici qu’il n’y a pas de dimension génétique aux difficultés qui se posent, sur le plan du développement, pour les enfants souffrant d’autisme ou de TDAH. Toutefois, l’idée d’attendre avant d’agir, avant d’avoir compris les fondements génétiques de ces troubles – ou de canaliser des fonds essentiels vers la recherche sur le sujet – nous détourne de la nécessité d’investir dans des interventions de proximité communes, susceptibles d’aider dès aujourd’hui ces enfants et leurs familles.

Prenons un autre exemple : la dépression. On sait que les porteurs de certains gènes (les allèles courts du gène du transport de la sérotonine) seront plus susceptibles de souffrir de dépression à l’adolescence et à l’âge adulte s’ils sont élevés dans des conditions difficiles et subissent notamment de la négligence ou des mauvais traitements pendant l’enfance.

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Les conditions sociales ont une influence notable sur ces variants génétiques particuliers.

Par ailleurs, on sait aussi que les porteurs des mêmes génotypes qui grandissent dans un milieu optimal s’épanouissent parfaitement à l’adolescence et à l’âge adulte. Ce constat met en lumière l’influence notable des conditions sociales sur ces variants génétiques particuliers. À première vue, le génotype semble déterminant, mais il ne l’est que si les conditions de départ sont défavorables.

Au lieu de tester des enfants dans le but de connaître leur génotype et de repérer ceux qui courent le risque de souffrir de dépression déclenchée par les facteurs susmentionnés, nous pourrions faire bénéficier tous les enfants des ressources, en veillant notamment à ce que les jeunes familles et les collectivités disposent des moyens nécessaires pour que leurs enfants connaissent un meilleur départ dans la vie.

Toutes les recherches à cet égard sont concluantes : les mesures de soutien à la famille et à la collectivité, comme l’intervention précoce, le soutien du revenu, les groupes prénatals et de parentage, les visites périnatales à domicile et les services pédagogiques de grande qualité offrent une protection contre des troubles comportementaux et affectifs parfois graves, quel que soit le génotype de l’enfant ou de l’adolescent.

Certes, les découvertes en génétique sont intéressantes dans le cas de troubles comme l’autisme, le TDAH et la dépression, pour lesquels – faut-il le rappeler –, il existe déjà des interventions de nature sociale qui ont fait leurs preuves depuis longtemps. Ces avancées méritent d’être approfondies, mais dans l’immédiat, elles n’aident en rien les principaux intéressés.

Réservons le battage médiatique aux solutions utiles pour les familles. Investissons dans des thérapies et des interventions sociales éprouvées afin que les familles reçoivent l’aide dont elles ont besoin aujourd’hui.

Les enfants aux prises avec des difficultés de développement n’ont pas le loisir d’attendre l’avènement d’une thérapie génique personnalisée et spectaculaire. Ils ont besoin de services éducatifs à la petite enfance, de soutien en classe, de thérapie individuelle, de soutien parental et d’aide financière pour contrer la pauvreté. En d’autres mots, de véritables mesures à caractère social qu’il n’est plus besoin de découvrir, puisque nous disposons de toutes les preuves nécessaires pour démontrer qu’elles donnent bel et bien des résultats.

 


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Nicole Letourneau
Nicole Letourneau is an expert advisor with EvidenceNetwork.ca and a professor in the Faculties of Nursing and Medicine at the University of Calgary. She also holds the Alberta Children’s Hospital Foundation Chair in Parent-Infant Mental Health at the university.
Suzanne Tough
Suzanne Tough is a professor in the Cumming School of Medicine, University of Calgary.

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